Marta Bakowski, lorsque le design français rencontre l’artisanat balinais
Marta Bakowski est designer et coloriste. Diplômée de la Saint Martin’s School et du Royal College of Arts à Londres, elle a travaillé aux côtés de la designer Hella Jongerius à Berlin, avant de rentrer en France pour fonder son propre studio et intégrer les Ateliers de Paris. Elle collabore à des projets de création pour des éditeurs et des projets artisanaux en édition limitée. Depuis septembre 2022, son studio est installé au JAD.
Du 7 au 29 septembre sa collection “Fragments”, créée dans le cadre du projet ADIR (Artist Designer In Residence) en partenariat avec l’Institut Français d’Indonésie et CushCush Gallery, sera présentée à la Galerie des Ateliers de Paris. Pendant les Journées Européennes du Patrimoine au JAD, elle reviendra sur cette expérience lors d’une table ronde consacrée au dialogue entre design français et artisanat balinais.
A cette occasion, nous avons échangé sur les fondements de sa pratique du design, de la couleur aux traditions populaires en passant par le dialogue entre artisanat et industrie.
En septembre 2022, tu rentrais d’un mois de résidence à Bali. Aujourd’hui, tu t’apprêtes à présenter tes créations issues de cette résidence à la Galerie des Ateliers de Paris. Comment cette collection a-t-elle été pensée ? Comment cette résidence à Bali t’a-t-elle inspirée ?
Pendant l’été 2022 j’ai en effet passé un mois à Bali dans le cadre du projet ADIR (Artist Designer In Residence) : un programme sur trois ans initié par CushCush Gallery, au cours duquel trois designers français sont invités à découvrir l’artisanat Balinais, en vue de la création d’une collection d’objets.
C’est dans ce cadre que j’ai passé un mois en immersion pour découvrir les matériaux, les savoir-faire et surtout la culture et l’environnement qui ont nourri les pièces de ma collection “Fragments”. Celle-ci est en effet conçue comme un carnet de voyage, dans lequel chacune des pièces raconte une histoire, comme une sorte de collage tridimensionnel associant de l’image, du dessin, du texte, etc.
On y retrouve les éléments visuels qui m’ont le plus marquée pendant ce voyage : les cerf-volants, les marchés, les objets et symboles associés aux cérémonies religieuses, les bateaux et leurs proues sculptées, etc. Pour ce qui est de la structure des pièces, je me suis inspirée des éléments d’architecture traditionnelle balinaise, tout en proposant une réinterprétation des cabinets de curiosité du XVIIème siècle en Europe. Les matériaux et les techniques employés sont quant à eux directement inspirés des traditions artisanales et culturelles locales : sculpture sur bois en bas relief réalisée par un maître de la fabrication des masques de cérémonie, peinture à la main réalisée par un maître de la peinture traditionnelle kamasan, marqueterie de feuilles de palmier teintées et emploi de systèmes d’assemblages inspirés des structures undagi utilisées pour les cérémonies de crémation.
Avec la finalisation et la présentation des pièces de la collection “Fragments”, c’est une étape qui s’achève. A présent, c’est au tour du designer Pierre Charrié, dont le voyage à Bali a eu lieu cet été, de réaliser ses propres pièces pour compléter cette collection. L’occasion de mettre en dialogue nos expériences de résidence respectives et d’approfondir la question du design et du regard français sur l’artisanat balinais.
Cette collection est assez représentative de ton travail : on y retrouve la notion de récit, une forte présence de la couleur ainsi que le détournement de savoir-faire traditionnels. Dans quoi prend racine cette pratique du design ?
Je pense que ce qui me guide, profondément, c’est ma fascination pour les arts folkloriques et populaires. J’ai grandi entourée d’objets anciens, d’artefacts fabriqués de manière artisanale, de trésors venus des quatre coins du monde. De là vient mon amour de l’objet et surtout du récit de l’objet. C’est pourquoi mes propositions en design sont toujours imprégnées d’une histoire, qu’elles soient inspirées de poupées rituelles amérindiennes, de masques traditionnels gabonais, ou encore de buvettes burkinabés.
Ensuite vient la couleur, qui pour moi est une étincelle dans la création et l’outil le plus puissant pour donner à l’objet ses qualités expressives. Elle aussi me vient de mon enfance et de mon père, peintre, qui m’a appris qu’avec la couleur vient l’âme.
Enfin, ce qui caractérise ma pratique, c’est la réflexion autour des matériaux et des techniques employés et en particulier mon intérêt pour l’utilisation de matériaux industriels travaillés de manière artisanale : comme la vannerie à partir de fils de polyester ou encore la fabrication de vases associant du cuir de chèvre au nylon tressé. Un dialogue entre savoir-faire et industrie qui fait émerger une esthétique intéressante, nourrissant le monde industriel du langage artisanal, et apportant ainsi une dimension vivante et vibrante à l’objet.
Dans tes différents projets, la recherche tient une place centrale. Que représente pour toi le temps de la recherche ?
Dans mon processus de création, il y a en effet toujours une période d’immersion, de recherche pure, pendant laquelle je m’imprègne, j’explore différentes pistes, j’expérimente de manière intuitive, sans but précis et dans une approche centrée sur le faire. Et puis, je laisse mûrir, jusqu’à ce que la création émerge d’elle-même.
Jusqu’à présent, c’est dans le cadre de résidences à l’étranger que j’ai pu m’octroyer ce temps précieux, au Burkina Faso en 2016, en Italie en 2019, et en Indonésie l’année dernière. Désormais, c’est le JAD qui m’apporte un cadre propice à la recherche et la création, où les échanges et les stimulations sont quotidiens.
C’est d’ailleurs cette approche que vous avez privilégiée avec Carole Calvez, designer olfactive, avec qui vous travaillez sur un projet de nuancier olfactif qui est présenté dans le cadre de l’exposition Pages Blanches. Peux-tu nous en dire plus sur cette collaboration ?
Carole Calvez et moi avons en effet décidé de travailler sur le dialogue entre le monde olfactif et le monde des couleurs via le prisme du design, afin de donner une matérialité aux odeurs: nuanciers, scénographie, installations, objets: les formes sont multiples. Une recherche que nous avons décidé d’aborder de manière intuitive, intégrant ainsi les dimensions sensibles et culturelles de nos rapports aux odeurs et aux couleurs.
A fur et à mesure de nos échanges, de nouvelles réflexions sont intervenues, comme la nécessité d’intégrer les notions de linéarité, de fluctuation et d’architecture de l’odeur : des impressions que nous avons cherché à traduire en mettant au point des objets ludiques inspirés du monde de la petite enfance mettant les couleurs en mouvement. Ce sont ces premières recherches que présente l’exposition Pages Blanches.
Ce projet, vaste et ambitieux connaîtra certainement dans les mois à venir des développements multiples, comme l’intégration du design sonore ou encore la recherche autour du langage commun aux odeurs et aux couleurs – la luminosité, la profondeur, la rondeur, la saturation : autant de pistes passionnantes qu’il reste encore à explorer.
Entretien mené par Brune Schlosser
Chargée de projets culturels et patrimoniaux à l’INMA
et correspondante INMA au JAD
Infos pratiques
Table ronde – Samedi 16 septembre – 16H
Animée par Hélène Ouvrard, coordinatrice du programme de résidence franco-balinais de l’Institut Français “ADIR, Artist Designer In Residence”, cette table ronde propose aux designers et résidents français 2022 et 2023, Marta Bakowski et Pierre Charrié, de revenir sur leur rencontre avec la culture balinaise et l’artisanat local, aux côtés de Suriawati Qiu et Jindee Chua, fondateur de CushCush Gallery, une galerie indonésienne qui encourage les interactions et croisements entre l’art, le design, la matérialité, les techniques et l’artisanat.
Exposition “Fragments, impressions balinaises”
Du 7 au 29 septembre, Marta Bakowski présente l’exposition “Fragments, impressions balinaises” à la Galerie des Ateliers de Paris, à l’occasion de la Paris Design Week
30 rue du Faubourg Saint-Antoine, Paris 12ème (métro Bastille)
Du 7 au 29 septembre
Du lundi au vendredi de 9h30 à 17h30 ; le samedi de 11h à 18h
Exposition « Pages Blanches »
Exposition manifeste du JAD, ce premier temps fort de la saison culturelle 2023-2024 présente les projets du programme de recherches et d’innovations collaboratives du JAD portés par ses créateurs.
A travers une diversité de savoir-faire d’excellence : design d’objets, de mobilier, sellier d’art, sculpture sur bois, ébénisterie, héliogravure, design olfactif, tissage, design textile, le JAD vous invite à découvrir des projets issus de l’hybridation entre artisanat d’art et design.
Vernissage le 14 septembre à 18h30