Marion Gouez, l’artisanat au service de l’ennoblissement textile

Marion Gouez est designer textile : créatrice de motifs, elle travaille dans un rapport étroit aux matériaux et aux techniques artisanales. Au JAD, où son atelier est installé depuis septembre 2022, elle poursuit sa démarche de recherche et de création fondée sur la collaboration et le dialogue entre métiers d’art et design. 

C’est dans ce cadre qu’elle a amorcé sa collaboration avec Carole Calvez, designer olfactive au JAD. Ensemble, elles ont mis au point un atelier de pratique destiné au jeune public. Proposé par le Hangar Y jusqu’en septembre 2023 dans le cadre de l’exposition “Dans l’air, les machines volantes”, cet atelier associe la broderie et le tissage, l’espace et les odeurs. 
Dans cet entretien, Marion Gouez revient sur sa collaboration naissante avec Carole Calvez et la démarche de transmission qu’elles poursuivent à travers cet atelier. L’occasion également d’évoquer son parcours et de partager son rapport à la création, dont les matériaux et les techniques sont les sources d’inspiration premières.

Comment est né ce projet d’atelier pédagogique et votre travail de collaboration avec Carole Calvez ?

Cela faisait déjà quelques temps que Carole et moi voulions travailler ensemble. Nous avions toutes les deux l’envie d’imaginer un concept mêlant nos pratiques – le textile et l’odeur – qui bien qu’elles se rencontrent tous les jours, n’entrent jamais réellement en dialogue et en résonance. A l’occasion de son ouverture au public en mars 2023, le Hangar Y, haut lieu culturel du patrimoine aéronautique situé au cœur du domaine de Meudon, a décidé de proposer une série d’ateliers pédagogiques, en lien avec leur exposition inaugurale “Dans l’air, les machines volantes”. Nous avons donc profité de cette proposition de création d’atelier pédagogique pour amorcer nos recherches et notre collaboration. 

C’est ainsi que nous avons imaginé l’atelier Imagine le parfum de ta planète, permettant de créer une planète, une fusée ou un spoutnik à partir de techniques de broderie, tissage et tressage, utilisant des fils odorisés.
Pour créer ces planètes, ces fusées et ces spoutniks, nous nous sommes inspirées de l’esthétique de l’artiste d’art brut André Robillard, chez qui ces motifs sont très présents. En ce qui concerne la création des odeurs, nous nous sommes appuyées sur les récits des astronautes dans l’espace ainsi que des contenus scientifiques, et avons ensuite choisi celles qui pouvaient le plus parler aux enfants comme (étonnement) la noisette, l’amande, le barbecue, etc.
D’un point de vue technique, nous avons mené une recherche sur l’odorisation des pelotes de fils. En termes de production, l’ensemble des éléments nécessaires à l’atelier ont été réalisés grâce aux machines du Makerlab du JAD. Tous les supports pédagogiques de l’atelier – planètes, fusées et spoutniks – ont ainsi été réalisés à la découpeuse laser, accompagnés d’un livret illustré présentant notamment les différentes techniques de broderie, de tissage et de tressage enseignées dans l’atelier.

A travers l’élaboration de cet atelier, nous avons donc pu amorcer notre collaboration en commençant à explorer les ponts entre textile et odeurs. Fortes de cette première expérience, nous avons décidé de pousser plus loin nos recherches et de poursuivre notre collaboration dans le cadre du programme de recherche et d’innovation collaborative du JAD.

Votre installation au JAD en septembre 2022 matérialise le tournant qu’a pris votre carrière ces trois dernières années. Pouvez-vous nous en dire plus sur votre parcours et sur ce qui vous a amenée à vous tourner vers la création et la recherche issues du dialogue entre métiers d’art et design ?

J’ai toujours été passionnée par le textile et ses savoir-faire. Au lycée, je me suis donc orientée vers un bac en arts appliqués à l’Ecole Boulle avant d’étudier pendant deux ans dans une école de mode en stylisme option design textile. Puis, à la sortie de mes études, j’ai travaillé dans l’atelier du fourreur de luxe Yves Salomon. Aux côtés des artisans, j’ai appris les bases du métier : faire la différence entre les peaux, comment les coudre, les couper, etc. 

Par la suite, j’ai travaillé pendant plusieurs années pour différentes marques de prêt-à-porter pour lesquelles j’étais chargée de concevoir des motifs. Mais la création se faisait essentiellement sur ordinateur, et mon activité quotidienne était trop déconnectée du travail de fabrication à mon goût. Fin 2019, j’ai donc décidé de quitter mon poste et de créer mon propre atelier, afin de renouer avec la matière et les savoir-faire textile, et de suivre ma propre voie dans la création.

Motifs pour Burton of London

Comment avez-vous réussi à retrouver le chemin de la création ?

Lorsque j’ai quitté mon poste, je ne me sentais plus du tout légitime dans la création. J’ai donc décidé de partir en voyage, une envie qui – de fil en aiguille – s’est transformée en projet de résidence de création. J’ai tout d’abord passé un mois en Islande dans le cadre d’une résidence dédiée au textile, aux côtés de sept autres résidents venus du monde entier. Chacun avait un univers bien spécifique, du conservateur de costume à l’artiste textile.

Photos de la résidence au Groenland

Quelques semaines plus tard, je suis repartie pour une autre résidence, cette fois au Groenland. Non spécifique au textile, cette résidence m’a permis de rencontrer des créateurs d’autres univers et ainsi d’explorer de nouvelles voies.

En parallèle, je suis allée à la rencontre des femmes inuites du village travaillant le tissage de perles avec qui, malgré la barrière de la langue, un véritable dialogue par le geste s’est instauré. Autant de rencontres qui m’ont considérablement enrichie et ont nourri ma créativité.

A mon retour en France, j’ai décidé de renforcer mes connaissances du textile sur le plan historique et technique et de consolider ma pratique en me formant à différents savoir-faire : j’ai ainsi suivi une formation en tissage, en tapisserie de basse lisse, passé mon CAP de broderie, et ai commencé à me former à la plumasserie.

Aujourd’hui, je mène une activité mixte. Je continue de créer des motifs, utilisant le dessin à la main, la gouache, l’encre, le pastel, etc. Et le reste du temps, je me consacre à la recherche et la création en collaboration avec d’autres artisans ou designers, en particulier ceux du JAD.

Quelles sont vos sources d’inspiration et qu’est-ce qui nourrit votre créativité ?

La compréhension des techniques qui président à la réalisation de pièces textiles constitue aujourd’hui le fondement de ma démarche créative. Mon processus de création se nourrit donc autant des possibilités qu’offrent les techniques liées au textile, que de la recherche esthétique. 

En ce qui concerne la création de motifs, je me nourris de nombreuses références iconographiques, qu’il s’agisse de cahiers de tendance, de livres d’art, de livres anciens, ou encore de visites d’expositions. Parmi les motifs qui m’inspirent le plus, il y a les motifs floraux et végétaux des céramiques turques des XVème et XVIIème siècles, ou encore les motifs de papiers dominotés et de couvertures de livres des XVIIIème et XIXème siècles.

Comment le JAD participe-t-il aujourd’hui à nourrir votre projet de recherche et de création ?

Depuis que je me consacre pleinement à la création textile dans sa matérialité, je cherche à explorer de nouvelles voies en créant des ponts avec d’autres matériaux et d’autres savoir-faire. L’exploration des liens entre le textile et le domaine de l’olfaction avec Carole s’inscrit dans cette démarche, au même titre que la recherche autour des formes fractales que je mène avec Cédric Breisacher, designer et sculpteur, dans le cadre d’un projet de design global associant textile et bois. Tout est à inventer et c’est ce que je trouve passionnant dans cette démarche d’hybridation des savoir-faire et de mise en dialogue de l’artisanat d’art et du design qu’incarne le JAD.

Entretien mené par Brune Schlosser

Chargée de projets culturels et patrimoniaux à l’INMA

et correspondante INMA au JAD