Mathilde Faucard, révéler la forêt par le geste

© Mathilde Faucard
Mathilde Faucard est fresquiste. Installée au JAD depuis le printemps 2024, elle y développe une pratique où la matière est un vecteur d’exploration du vivant et des cycles naturels. Dans cet entretien, elle revient sur son approche sensible et expérimentale, nourrie de ses recherches autour de la forêt. Ses créations, de l’élément mural à l’objet, sont actuellement présentées dans l’exposition Horizon, curatée par Véronique Maire et visibles au JAD jusqu’au 18 janvier 2026.
Peux-tu revenir sur ton parcours et sur ce qui t’a menée vers la fresque ?
Après le baccalauréat, je savais que je voulais me former à un métier, développer un véritable savoir-faire. C’est ce qui m’a conduite vers les métiers d’art à l’ENSAAMA. J’y ai d’abord été acceptée en mosaïque, avant de me diriger vers la fresque. Ce qui m’attirait, c’était l’idée de travailler le mur comme une toile vierge, à grande échelle. J’aimais aussi la gestuelle presque chorégraphique de la fresque, notamment dans la pose des enduits.
Mais très vite, j’ai cherché à dépasser la fresque traditionnelle pour expérimenter le travail d’autres matières. Pour mon projet de diplôme, j’ai réalisé des empreintes d’éléments naturels avec du béton, dans le but de représenter l’écosystème forestier à travers des pièces exposables. Mon objectif était d’utiliser un matériau suffisamment solide pour qu’il puisse être intégré à des projets durables, avec lesquels on puisse vivre au quotidien. Le contact avec la matière est en effet essentiel pour moi : comprendre une texture, un relief, passe nécessairement par le toucher. J’essaie donc d’intégrer cette dimension dans mes projets, pour que le public puisse, lui aussi, manipuler et expérimenter.
Qu’est-ce qui t’a conduite à travailler autour de la forêt et de ses écosystèmes ?
Le déclencheur, ça a été un livre de Peter Wohlleben, La vie secrète des arbres, mais aussi mon propre rapport à la nature. Depuis l’enfance, la forêt est un espace qui m’attire. Alors quand je suis sortie de l’école, j’ai voulu adapter mon savoir-faire à mes idées, sans les contraintes liées au cadre scolaire.
J’ai alors mené une longue phase de documentation et de recherche sur la forêt comme objet scientifique. Je me suis passionnée pour le fonctionnement de l’écosystème forestier, pour la biocénose – c’est-à-dire l’ensemble des êtres vivants qui peuplent un écosystème -, notamment les interactions entre les espèces, etc., afin d’en développer ensuite une approche sensible et personnelle.
Quels axes de recherche développes-tu aujourd’hui ?
Je travaille principalement sur la notion de biosphère, en lien avec les arbres et ce qui se passe sous la surface. Nous avons accès à l’humus, mais pas aux systèmes racinaires, et cet aspect m’intéresse beaucoup. Je fais donc pousser des plantes, je les laisse se développer puis je les fais sécher pour révéler l’ampleur de leurs racines, leur organisation, leurs interactions. Ces systèmes d’entraide invisibles jouent un rôle essentiel pour la fertilité de la terre et contribuent à soutenir l’écosystème dans son ensemble.
Cette exploration m’a également amenée à réfléchir au cycle du vivant : ce qui meurt nourrit ce qui naît. Cette idée de renouvellement constant, mêlée à une certaine mélancolie, m’amène à vouloir « ancrer » des choses qui ont été vivantes dans la matière, comme pour conjurer la disparition. Je suis ainsi passée d’une approche très scientifique à une démarche plus sensible, où le geste artistique permet de raconter la vie, la mémoire et les cycles naturels.

Béton lierre © Mathilde Faucard

Empreintes, Fruits Hedera Helix © Mathilde Faucard
Comment le JAD nourrit-il ton travail au quotidien ?
En m’installant au JAD, je cherchais à m’inscrire dans une dynamique collective pour observer d’autres pratiques, discuter et confronter mes idées, m’autoriser à changer de direction, etc. Le JAD m’a offert cette émulation.
Suivre le travail des autres occupants m’inspire beaucoup, d’autant plus que nous sommes nombreux à explorer la nature et le vivant, mais chacun à notre manière, ce qui ouvre des perspectives incroyables.
Par ailleurs, à mon arrivée, j’étais uniquement centrée sur le décor mural. Puis en découvrant la façon dont certains occupants conçoivent l’objet comme l’aboutissement d’une expérimentation, j’ai commencé à penser différemment. Aujourd’hui, je développe des objets et des pièces de mobilier qui incarnent mes réflexions sur la forêt.
Tu continues donc de t’émanciper de la fresque traditionnelle à travers la création d’objets en volume.
Tout à fait, c’est venu naturellement. Je me suis d’abord détachée des enduits traditionnels tout en gardant l’idée de la surface murale à travers des créations en béton coloré dans la masse, prenant la forme d’échantillons ou des fragments de forêt. Puis j’ai commencé à développer des plus grands formats dans le but de traduire le caractère vivant et foisonnant de l’écosystème forestier. Enfin, petit à petit, l’objet est apparu.
A travers le volume, j’ai commencé à matérialiser des phénomènes naturels, comme avec la table basse présentée dans l’exposition Horizon – expériences de la matière. J’ai aussi travaillé à la création d’objets et de modules en béton qui seront exposés en avril 2026 dans le showroom d’Ananbô, une boutique de papiers peints panoramiques de luxe. Le béton, souvent diabolisé quand on aime la nature, est alors réinvesti pour nos intérieurs, devenant ainsi « compatible » avec l’imaginaire forestier.

Exposition Horizon © Clara Chevrier


Certaines de tes recherches semblent se prêter à la collaboration. Quelles sont les pistes que tu souhaiterais explorer ?
Avec Vincent Le Bourdon (elementos studio), nous menons des expériences autour de mélanges d’enduits de terre et de chaux. De manière générale, j’aimerais également croiser l’usage du béton et de l’empreinte avec d’autres matériaux, même si je n’ai pas encore eu le temps d’aller au bout de ces pistes.
Par ailleurs, sur la question du système racinaire, je vois beaucoup de parallèles avec le tissage : comment retranscrire la complexité des racines dans un textile ? Comment intégrer des racines séchées dans une trame pour conserver la notion de motif sans passer par l’empreinte ? Ce sont des questions qui me stimulent énormément.
La transmission est importante pour toi. Quel rôle joue-t-elle dans ton travail ?
J’ai toujours admiré les personnes capables de transmettre leur passion avec sincérité. Pour moi, la transmission est intimement liée à l’échange humain. J’aime ouvrir mon atelier, discuter avec les visiteurs, répondre aux questions : ces moments, même très courts, peuvent mener à des conversations profondes. Ils permettent de semer des petites graines sur la forêt, sur la matière, sur le métier. Cela germe ensuite, d’une manière ou d’une autre.
Avec les enfants, c’est encore autre chose : ils découvrent des métiers dont ils n’ont souvent jamais entendu parler : c’est alors l’occasion d’élargir le champ des possibles et de leur montrer que le monde créatif est beaucoup plus vaste qu’on ne l’imagine.
Propos recueillis par Brune Schlosser,
correspondante de l’Institut pour les Savoir-Faire Français au JAD
Informations pratiques
Découvrez le travail de Mathilde Faucard dans l’exposition Horizon – expériences de la matière jusqu’au 18 janvier 2026 au 6 grande rue à Sèvres au Jardin des métiers d’Art et du Design.
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