Juana García-Pozuelo, rencontre entre l’idée et la main

Artiste plasticienne espagnole, Juana García-Pozuelo revient sur sa résidence au JAD, dans le cadre du partenariat avec Bilbao Arte Center. Entre peinture, maquette architecturale et rencontres artistiques, elle partage dans cet entretien son expérience marquée par la richesse des échanges et le dialogue entre les disciplines.

Peux-tu décrire en quelques mots ce qui caractérise ta pratique artistique ? 

Je suis artiste plasticienne, originaire d’Espagne. Je travaille principalement la peinture figurative, avec un intérêt particulier pour les scènes du quotidien : intérieurs, objets, environnements familiers. J’ai longtemps peint de manière abstraite, mais en 2008, lors d’un séjour à New York, j’ai commencé à représenter des éléments concrets, souvent issus de mon environnement immédiat. Depuis, je poursuis ce travail figuratif à l’huile, dans mon atelier à Bilbao, dans le Pays Basque.

Atelier de résidence au JAD © Iloé Fétré / Le JAD

Au printemps 2025, tu as participé à une résidence au JAD où tu as installé ton atelier pour un mois. Quels étaient tes objectifs et intentions pour cette résidence ?

J’ai candidaté à la résidence du JAD avec l’envie de développer un projet personnel tout en m’immergeant dans un environnement pluridisciplinaire. L’intérêt principal pour moi était de pouvoir échanger avec des artisans et des designers, découvrir leurs outils, leurs méthodes de travail, et envisager des croisements possibles avec ma pratique.

Durant cette résidence, j’ai commencé à travailler sur un projet de maquette de maison, une forme que j’explore régulièrement dans mes peintures mais que je n’avais encore jamais abordée en volume. Le cadre technique du JAD m’a permis de débuter cette expérimentation, en profitant à la fois des équipements disponibles et des échanges sur place.Le projet consiste à réaliser une maquette en papier d’une maison inspirée de mes tableaux. Il s’agit d’une maison réelle, utilisée de manière récurrente dans mon travail, que je souhaite retranscrire en trois dimensions sous forme d’un plan à découper et assembler, dans l’esprit des livres de maquettes en papier tels que Cut & Assemble Victorian Houses d’Edmund Vincent Gillon.

© Iloé Fétré / Le JAD

Cette période de résidence a aussi été marquée par de nombreuses rencontres, visites, etc. Comment ces expériences t’ont-elles nourrie dans ton travail ?

J’ai beaucoup apprécié ces moments de découverte partagée,dans et en dehors du JAD. Les visites organisées tout au long de ma résidence dans des lieux culturels ou des ateliers ont nourri ma réflexion artistique. L’appartement du Corbusier, par exemple, m’a beaucoup marquée, de même que la maison-musée de Gustave Moreau. Ces lieux où les artistes ont réellement vécu et créé permettent de mieux comprendre la manière dont un environnement peut influencer l’œuvre.

Par ailleurs, la visite de l’atelier d’Aline Houdé, designer d’objets en papier, m’a beaucoup inspirée, de même que l’atelier de maquettes Archimade : à chaque fois ce sont des univers créatifs singuliers que j’ai découverts, dans des ateliers où les compétences et les préoccupations techniques diffèrent des miennes mais font néanmoins écho à mon propre travail. Enfin, la visite du musée Albert-Kahn et ses jardins a été une véritable respiration. 

Toutes ces découvertes ont contribué à faire de cette résidence une expérience vivante, faite de dialogues, de curiosité, de circulation d’idées et de moments partagés. C’est aussi cela qui fait la richesse d’un lieu comme le JAD.

Musée départemental d’Albert Kahn © Iloé Fétré / le JAD

Rencontre dans l’atelier d’Aline Houdé © Iloé Fétré / Le JAD

Comment un lieu comme le JAD – consacré au dialogue entre métiers d’art et design – peut nourrir des artistes comme toi qui se définissent davantage comme des artistes plasticiens ?

Ce qui m’a particulièrement marquée au JAD, c’est l’environnement collectif construit autour du croisement des disciplines. La résidence m’a permis de côtoyer des artisans et des designers aux pratiques très différentes de la mienne, mais qui m’ont paru partager une même exigence : celle de transformer une idée en forme tangible.

En tant qu’artiste plasticienne, je suis formée à représenter, à donner corps à des images. Mais il arrive fréquemment que les idées prennent des directions qui dépassent mes compétences techniques — par exemple dans la construction de volumes, ou le travail de certains matériaux. C’est là que l’expertise artisanale devient précieuse. De nombreux artistes manquent de savoir-faire concrets pour traduire leurs concepts. Des lieux comme Le JAD ou Bilbao Arte peuvent permettre ces complémentarités. 

Par ailleurs, les artisans et designers que j’ai rencontrés au JAD ne se contentent pas de maîtriser un matériau : ils ont une démarche, un propos, une esthétique. Leur travail n’est pas seulement fonctionnel, il est porteur de sens et est marqué par une vrai porosité entre art, artisanat et design.

En France, j’ai l’impression que le savoir-faire est plus valorisé, davantage reconnu comme un patrimoine vivant, transmis, protégé. En Espagne, cette reconnaissance est parfois plus difficile à obtenir, mais en retour, la frontière entre artistes et artisans est souvent plus floue : il est plus fréquent qu’un artisan se revendique aussi artiste, ou que les deux dimensions coexistent de manière plus naturelle dans une même pratique.

Qu’est-ce que cette immersion en France t’a apportée en tant qu’artiste espagnole ? 

Ce séjour en France m’a permis de mieux comprendre la manière dont ici, la culture est vécue au quotidien. En Espagne, on va moins au musée, moins au théâtre. Ici, j’ai eu l’impression que c’était plus naturel, presque ancré dans les habitudes. C’est quelque chose que j’ai beaucoup aimé, et qui m’a donné envie de revenir encore.

Et maintenant ? Quelles sont les prochaines étapes ?

Ce temps de résidence a ouvert de nouvelles pistes dans mon travail, notamment autour de l’objet-maquette, que je compte poursuivre dans mes prochaines expositions. Je présenterai mes œuvres cet été dans une galerie, puis à Gijón à l’automne, et enfin à Bilbao en fin d’année dans le cadre d’une exposition collective avec le centre Bilbao Arte.

Et j’espère revenir bientôt à Paris. Pour une autre résidence, ou peut-être juste quelques mois, pour travailler, respirer, regarder.

Propos recueillis par Juline Gauthier-Wolk, responsable du Makerlab du JAD
et Brune Schlosser, correspondante de l’Institut pour les Savoir-Faire Français au JAD