Cédric Breisacher et Marion Gouez, lauréats de la Bourse MIRA 2024 : récit d’une collaboration

© Cédric Breisacher

© Cédric Breisacher

Le JAD défend l’hybridation des savoir-faire et la mise en dialogue des métiers d’art et du design à travers le développement de projets de collaboration innovants, portés par ses créateurs. Ce sont ainsi près d’une vingtaine de projets de collaboration qui ont jusqu’à présent vu le jour, dont l’exposition Pages Blanches donnait l’an passé un premier aperçu. Parmi eux, Végétamorphe : un projet de design global associant création textile et mobilier, porté par la designer textile Marion Gouez et le designer et sculpteur sur bois Cédric Breisacher.

Le travail de Cédric Breisacher se caractérise par un rapport essentiel à l’objet, à la croisée de l’organique et du minimalisme. Il repose sur une approche sensible et itérative, questionnant le processus de création des formes. Marion Gouez, quant à elle, est créatrice de motifs et travaille dans un rapport étroit aux matériaux et aux techniques artisanales. Tous deux animés par les problématiques contemporaines liées à notre relation aux environnements naturels, leur collaboration prend racine dans la volonté de questionner les rapports entre forme et motif et d’explorer des manières de retranscrire le vivant à travers des créations textiles et de mobilier. 

Lauréats de la Bourse MIRA (Mobilité Internationale de Recherche Artistique) portée par l’Institut Français, les deux créateurs sont partis au printemps dernier en résidence en Suède, pour amorcer une nouvelle phase dans leur projet de collaboration. En octobre prochain, ils présenteront les fruits de ce travail dans l’exposition Chroniques de la création, dans les coulisses du JAD, curatée par le sociologue et historien du design Hugues Jacquet, et présentée au JAD du 22 octobre 2024 au 03 février 2025. 

Dans cet entretien, Marion Gouez et Cédric Breisacher reviennent sur les premières étapes de ce projet, et nous racontent leur cheminement pour mettre au point une méthode et un univers de création propres à leur collaboration. 

Vous êtes tous les deux à l’origine du projet Végétamorphe : pouvez-vous nous raconter comment est née cette collaboration ? 

Marion : Le projet Végétamorphe est né de notre rencontre au JAD où nous sommes tous les deux arrivés en septembre 2022. Comme nous sommes voisins d’ateliers, nous avons rapidement sympathisé. Puis, très vite, grâce au PRIC (Programme de Recherche et d’Innovation Collaborative du JAD), nous avons souhaité travailler ensemble. Cependant, nous ne savions pas encore comment mêler nos pratiques respectives : il nous manquait un angle d’approche pour faire dialoguer nos univers de création. 

Cédric : Le déclic est venu de notre visite de l’exposition Années 80 au Musée des Arts Décoratifs. On y a découvert une salle dans laquelle étaient présentés des meubles avec des motifs appliqués au mobilier. C’est ce qui nous a mis sur la piste. 

Marion : Et puis nous avons cherché un terrain d’exploration, un univers esthétique auquel appliquer cette recherche. Alors nous avons évoqué la forêt du domaine de Saint-Cloud, voisine du JAD, et nous sommes partis en balade, sans idée préconçue. Nous avons commencé à collecter des morceaux de bois, de mousses, des feuilles que nous avons organisés en herbiers et classés par couleur et typologie. En observant ces éléments à différentes échelles, nous avons découvert des motifs fascinants qui ont inspiré nos premiers dessins. 

Cédric : Cette exploration a ensuite été enrichie par la visite du Muséum d’Histoire Naturelle, où les planches de Georges Rouy, l’ancêtre botaniste de Marion, nous ont été présentées par Germinal Rohan, le conservateur.

© Gaspard Rolland

Quelle a été la suite de votre collaboration, de la création de motif à la mise en matière ?

Marion : De fil en aiguille, nous avons réalisé un premier dessin, à quatre mains, dans une démarche de création intuitive, intégrant une part d’aléatoire, et s’inspirant de l’observation de nos herbiers à différentes échelles. Puis nous avons travaillé à sa traduction matérielle en textile avec Sotexpro, une entreprise de tissage située en périphérie de Lyon, spécialisée dans les textiles d’ameublement. Ça a été une belle collaboration avec leurs équipes et en particulier avec leur directrice artistique qui a proposé une interprétation de notre dessin en jacquard. 

Cédric : Ce jacquard a ensuite été exposé dans plusieurs cadres : lors de l’exposition Pages Blanches au JAD de septembre à décembre 2023, puis début 2024, à l’occasion de Paris Déco Off dans la galerie de Sotexpro, rue du Mail à Paris.
A peu près à cette période là, nous avons amorcé une nouvelle phase de notre collaboration, cette fois-ci autour de la recherche de mise en volume. Mais assez rapidement nous nous sommes heurtés à des difficultés : nous n’arrivions pas à traduire les dimensions d’organique, d’intuition et d’aléatoire caractéristiques de Végétamorphe dans le travail de la matière. Nous étions un peu dans une impasse. 

C’est à ce moment-là qu’est intervenue votre résidence en Suède grâce à la bourse MIRA (Mobilité Internationale de Recherche Artistique). En quoi cette expérience vous a-t-elle permis de donner un nouveau souffle à votre projet ? 

Cédric : La Bourse MIRA a été cruciale pour notre projet. Elle nous a permis de dégager du temps ensemble pour avancer sur notre projet et clarifier nos intentions créatrices. Avec ce voyage, nous avons pu redonner à Végétamorphe le temps exploratoire dont il avait besoin, et redéfinir ensemble une méthode de travail commune. 

Marion : Pour poursuivre nos recherches, nous avions choisi la Suède : le pays qui possède le plus de forêts d’Europe. Pendant ces 6 semaines de résidence, nous avons parcouru le pays en train, du Sud vers le Nord, à la découverte de musées, galeries, forêts et parcs naturels, dans une alternance de périodes d’itinérance et de périodes de résidence à AM Atelje : un lieu de résidence dédié aux arts visuels, centré sur la relation de l’humain à la nature. Tout au long de ce périple, nous avons eu le temps d’échanger, de laisser mûrir, d’observer la nature qui nous environnait, de la laisser nous nourrir. Chaque jour, nous prenions le temps d’écrire, photographier, dessiner, pour documenter ce voyage et les idées qu’il faisait émerger.

Cédric : Et puis à plusieurs moment, nous avons eu des petites révélations : lorsque nous avons découvert à la galerie Svenskt Tenn et le travail du designer Josef Frank sur l’association de textiles très joyeux et colorés à des pièces de mobilier beaucoup plus sobres ; ou encore le fait d’avoir retrouvé à plusieurs reprises au cours de nos visites de musées la même chaise d’appoint destinée aux visiteurs, toute en épure et faite en bois cintré, qui nous a beaucoup inspirés.
Finalement, nos collectes dans la nature et ces pièces de mobilier ont fini par dialoguer entre elles et nous ont permis de trouver une réponse aux difficultés que nous rencontrions dans la mise en volume et le travail du bois. 

Marion : C’est l’observation d’une petite branche en particulier – que nous avons consignée dans notre carnet de voyage – qui nous a aiguillés : nous avons alors compris qu’il ne s’agissait pas tant de retranscrire la nature et le vivant par des éléments sculpturaux dans le mobilier, mais plutôt de traduire les éléments naturels en éléments fonctionnels. 

Cédric : Et pour cela, en s’inspirant de la chaise présente dans tous les musées suédois que nous avons visités, et de notre rencontre avec un ébéniste lors de notre résidence à AM Atelje, nous avons décidé de nous orienter vers le cintrage du bois. Nous avons fait des premiers essais en Suède que nous avons poursuivis ensuite à notre retour en France, au Makerlab du JAD.

Quelles sont les prochaines étapes ? Quelles ambitions avez-vous pour ce projet ? 

Marion : Pendant notre résidence, nous avons dessiné toute une collection de meubles : une chaise, un cabinet, une table basse, et aussi un projet de tapis.Nous allons déjà en présenter une partie dans Chroniques de la création, dans les coulisses du JAD, la prochaine exposition du JAD qui présentera à partir du mois d’octobre les travaux de ses créateurs. Puis lorsque la collection sera terminée, nous aimerions la présenter pour la campagne d’acquisition du Mobilier National.

Cédric : Et puis nous poursuivrons nos recherches, mais en étant cette fois plus sûrs de l’identité de notre collaboration. Grâce à ce voyage, nous avons pu en retrouver l’essence et en rédiger le manifeste. Tout cela nous a permis d’affirmer un univers de création propre à ce projet, nourri de nos esthétiques respectives. Enfin, cette expérience nous a permis de clarifier notre méthode, parce que Végétamorphe, c’est avant tout une balade en forêt. Alors la prochaine fois que nous aurons besoin d’avancer dans le projet, la première question que nous nous poserons, ce sera : “dans quelle forêt on va ?”.

© Cédric Breisacher

Propos recueillis par Brune Schlosser
Chargée de projets culturels et patrimoniaux à l’Institut pour les Savoir-Faire Français
Correspondante de l’Institut au JAD

Informations pratiques 

Chroniques de la création, dans les coulisses du JAD
Commissariat : Hugues Jacquet, sociologue et historien du design
Scénographie : Marion Flament
Du 22 octobre 2024 au 03 février 2025
Du mercredi au dimanche de 14h à 19h
Entrée libre.