Janique Bourget, le papier comme vecteur de narration
Janique Bourget est artisane plasticienne. Installée au JAD depuis le printemps 2024, elle y poursuit sa démarche de création autour du papier, guidée par une recherche autour des notions d’invisible, de vide, de creux. Dans cet entretien, elle raconte ce qui fait l’essence de sa pratique, entre expérimentation, démarche sensible, recherche et collaboration.
Janique Bourget © Sophie Labruyere
Vous travaillez le papier d’une façon singulière : comment décririez-vous votre travail et votre démarche ?
Tout d’abord, je me définis comme artisane plasticienne, et depuis une dizaine d’années maintenant, ma matière de prédilection est le papier.
Ce que j’apprécie surtout dans ce matériau, c’est sa finesse et sa légèreté. Et puis c’est une matière qui donne droit à l’erreur. Je peux me tromper, rater, recommencer, ce qui pour moi est fondamental parce que je suis dans une démarche de recherche empirique, en constante expérimentation.
En effet, dans ma pratique, je suis guidée par le désir de retranscrire l’invisible, le vide, le creux. Mon travail est un espace de traduction d’expériences, de ressentis, de vibrations difficiles à mettre en mot et que j’essaye de retransmettre en volumes et en reliefs.
Sur le plan formel, cette démarche se traduit par la création de sculptures abstraites que je souhaite universelles et intemporelles. Et sur le plan technique, j’ai développé un procédé de collage par répétition qui me plonge dans un état totalement méditatif lors de la production. En fonction des pièces et des projets, je décline cette technique sur différentes échelles, avec différents types de papier, etc. In fine, il s’agit d’un travail cellulaire, profondément organique, proche du vivant et qui évoque l’idée du cycle et du mouvement.
© Janique Bourget
Vous rentrez tout juste d’une résidence d’un mois au Maroc. Quelles sont les idées et projets qui ont émergé de cette période en immersion ?
Cette expérience à l’Institut Français de Casablanca m’a plongée dans un environnement fourmillant : Casablanca est une grande ville qui ne dort jamais, animée par un mouvement perpétuel de constructions et de déconstructions. Cette résidence m’a aussi mise face à un défi personnel : celui de réussir à trouver un équilibre entre mes ambitions en termes de production et le lâcher prise nécessaire pour faire émerger la création.
Finalement, l’élément qui m’a aidée à m’ancrer là-bas, c’est le vent. Invisible mais omniprésent, il incarne avec douceur ce mouvement constant de la ville bordée par l’océan, il laisse des traces sonores, se montre par les ombres qui bougent. C’est donc guidée par cet élément que j’ai commencé à travailler sur un nouveau vocabulaire de formes, inspirées par l’architecture, les volutes et les répétitions géométriques, dans l’objectif de créer à terme des œuvres qui s’animent sous l’effet du vent.
Au-delà de mon expérience et de ma recherche, il y a eu des rencontres avec des artisans à Fès et à Meknès, autour du cuir et du laiton. Ces rencontres me donnent envie de poursuivre cette résidence pour ouvrir un second chapitre et créer un véritable pont culturel avec les savoir-faire d’artisans marocains.
La collaboration avec d’autres artisans fait en effet partie intégrante de votre travail. Il y a notamment le projet “Mémoires tangibles” que vous avez mené avec une souffleuse de verre.
Oui, tout à fait, je travaille depuis maintenant plus de 3 ans avec une souffleuse de verre qui s’appelle Alice Lebourg. Nous nous sommes rencontrées à l’occasion d’une résidence de recherche soutenue par la Fondation Martell à Cognac pendant laquelle nous avons beaucoup expérimenté autour du potentiel mais aussi de la fragilité de nos matériaux respectifs.
De cette multitude d’expérimentations a émergé un projet, “Mémoires tangibles” : une exploration de la rencontre du papier et du verre en fusion. Dans le processus de création, je commence par réaliser une sculpture en papier, puis Alice Lebourg vient souffler du verre dans la sculpture ; la rencontre entre le verre en fusion et le papier amène alors à la disparition de la sculpture puisque le papier prend feu, inscrivant, ce faisant, sa mémoire sur la peau du verre encore malléable qui prend l’empreinte de la tranche du papier. Les pièces ainsi réalisées sont des sortes de phénix. Nous aimons jouer avec cette transformation, c’est pourquoi au cours du processus nous gardons une autre trace : en plaçant un écran de papier sous la sculpture amenée à disparaître par le feu, on imprime sur cet écran les fumées, conservant ainsi les traces de la sculpture disparue.
Au-delà de ce projet, c’est un dialogue au long cours qui se noue entre nos deux matériaux, sous la forme de création de pièces, d’installations, etc. que nous nous apprêtons à restituer en partie lors d’une exposition à la Galerie Porte B en février prochain.
Cette logique de collaboration – quelle qu’en soit la forme – nourrit beaucoup mon travail. C’est le cas par exemple d’un travail que je mène en ce moment en dialogue avec le chef cuisinier de l’Almanach Montmartre qui m’a invitée pour une “résidence” de janvier à avril.
© Janique Bourge et Marion Saupin
C’est également cette dimension collaborative qui vous a amenée au JAD ?
Avant même la collaboration, c’est un cadre de travail à visage humain que je cherchais. Je voulais faire de nouvelles rencontres et m’entourer d’autres créateurs, car nous avons des métiers souvent solitaires. Le JAD est un cadre qui nous permet de conserver nos individualités tout en créant des ponts entre nos pratiques et démarches respectives. C’est aussi vrai avec l’équipe en charge de l’exploitation du lieu avec qui les échanges sont riches. Aujourd’hui, parmi les autres créateurs du JAD il y en a beaucoup avec qui j’aimerais collaborer, comme Maxime Perrolle dont j’aimerais utiliser les copeaux de bois ou encore Carole Calvez qui en tant que designer olfactif travaille sur l’invisible.
Enfin, le JAD est aussi un lieu de transmission, ce qui me tient à cœur. J’aime faire découvrir à des non initiés le papier car c’est une matière ordinaire mais que l’on révèle en la travaillant et qui devient alors une matière de la narration.
Propos recueillis Brune Schlosser, Correspondante de l’Institut pour les Savoir-Faire Français au JAD
Informations pratiques :
Exposition La force du vivant à l’Institut Français de Casablanca, 18 octobre – 17 novembre 2024
Exposition Matérialistes à l’Hôtel Gallifet, 15 novembre 2024 – 01 février 2025
Janique Bourget à l’Almanach Montmartre, 13 janvier – 27 avril 2025
Exposition avec Alice Lebourg à la Galerie Porte B, 06 – 27 février 2025
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