Anne Agbadou-Masson, explorer l’intime à travers la terre

L’atelier d’Anne-Agbadou-Masson au JAD / © CD92 Julia Brechler
Anne Agbadou-Masson / © CD92 Julia Brechler


Travaillant sous le nom d’Anneagma, Anne Agbadou-Masson est une sculptrice céramiste franco-ivoirienne. Depuis septembre 2023, son atelier est installé au JAD où elle poursuit une démarche de création sur la notion de mémoire génétique, donnant vie à des pièces qu’elles qualifie d’objets migrants. Présentées à l’occasion de la Milan Design Week dans le cadre de la participation du JAD à l’événement du LABO Cultural Project, les créations d’Anne Agbadou-Masson se caractérisent par une approche instinctive du travail de la terre. Un rapport intime et sensoriel à la matière qu’elle partagera avec le public à l’occasion des Rendez-vous aux Jardins au JAD les 01 et 02 juin 2024.
Dans cet entretien, Anne Agbadou-Masson revient sur son parcours : sa rencontre avec la terre et sa pratique de la sculpture, son installation au JAD et ses moteurs dans la création.

Vous n’avez pas toujours été sculptrice, mais votre rencontre avec la terre a été une révélation. Comment cette rencontre s’est-elle produite ? Comment êtes-vous devenue sculptrice-céramiste ?

A l’origine, je suis comédienne. Mais au bout d’un moment, j’ai senti que j’avais perdu l’envie. Je me sentais à bout de souffle. C’est dans ce contexte que je suis arrivée à la terre. J’avais un besoin essentiel de trouver un moyen d’expression dans lequel m’épanouir qui ne dépende que de moi. Et c’est à travers le travail de la terre que je me suis sentie pour la première fois pleinement “actrice”. A cette époque, il n’était absolument pas question pour moi de me projeter dans le domaine de la céramique : j’avais juste un besoin viscéral d’être dans le faire, l’immédiateté, la sensorialité. Ça a été extrêmement libérateur.

Dans un premier temps, j’ai donc pratiqué le modelage, dans une approche très instinctive. Puis est venue l’envie d’approfondir ma démarche en poussant plus loin ma maîtrise technique. J’ai donc suivi une formation de tournage avec Grégoire Scalabre, pendant laquelle j’ai pu me confronter au caractère très physique et exigeant de la céramique. 

En parallèle, à mesure que ma technique s’améliorait, mon esthétique s’affirmait. Je savais alors que je n’allais pas créer des pièces utilitaires. Je sentais que la terre, la céramique et la sculpture étaient devenues mon nouveau moyen d’expression. Je commençais donc à créer des premières formes, comme des chaînes, mêlant tournage et modelage.

Justement, comment ces formes naissent-elles ? Qu’est-ce qui caractérise votre langage artistique ?

Ma démarche a toujours été très instinctive. A l’origine viscérale, mon approche est aujourd’hui plus intellectualisée. Toutefois, ce que je cherche avant tout, c’est à être en contact avec la terre, à laisser émerger quelque chose qui bouillonne en moi. Mes pièces prennent souvent forme dans mes rêves. Ce n’est que très tard que j’ai pris le crayon pour les penser à travers le dessin. 

Et puis dans ma création, ce qui prime, c’est la forme. Une des premières formes que j’ai commencé à faire et reproduire se caractérisait par un cylindre avec des grandes anses. On m’a souvent dit d’elles qu’elles évoquaient la figure de l’éléphant ou du sexe féminin. Pour ma part, j’y vois l’expression d’une féminité forte.
Enfin, la matière dans son authenticité est centrale dans mon approche. C’est pourquoi j’ai rapidement opté pour des terres brutes, sans ajout d’émail, car je trouve qu’avec leur puissance et leur expressivité, elles se suffisent à elles-mêmes. 

Vos questionnements autour de votre identité culturelle marquent également votre création. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Je suis métisse, d’origine ivoirienne par mon père, et en effet, mes créations sont empreintes de cet héritage culturel. Pourtant, j’ai très peu connu la Côte d’Ivoire, et comme de nombreux descendants d’immigrés, la transmission culturelle a été tue. Il y a donc beaucoup de choses que je ne sais pas et que je ne saurai jamais. Pourtant, j’ai le sentiment qu’à travers ma création, par le faire, s’exprime ce qui n’a pas été dit. Comme si mes mains étaient porteuses de cette mémoire. C’est pour cela que je m’intéresse à la notion de mémoire génétique et aux liens qui peuvent être établis sur ce plan entre science et céramique.

Cette histoire personnelle a aussi une incidence sur la façon dont je considère mes pièces, dont je parle comme des “objets migrants”. Mes créations incarnent cette notion de migration parce qu’elles sont porteuses d’une histoire qui ne m’appartient pas entièrement. Et puis elles parlent à beaucoup de gens à travers le monde, évoquant des terres lointaines et des histoires oubliées, devenant ainsi l’incarnation d’autres vies que la mienne.

Depuis septembre 2022, vous êtes installée au JAD. Qu’est-ce qui vous y a conduite ?

Après avoir été “nomade” d’atelier pendant quelques temps, je voulais disposer de mon propre espace de travail. De plus, ma pratique est hybride, se situant à la frontière entre l’artisanat, le design et le monde de l’art.  Je cherchais donc un cadre dans lequel pourrait s’épanouir cette hybridité. Au JAD, j’ai rapidement trouvé ma place et mon rythme, tant dans mon atelier qu’aux côtés des autres créateurs, en particulier Luce Couillet, artisan textile et plasticienne, avec qui nous avons commencé à collaborer autour d’un projet un peu fou.  Nous cherchons en effet à mettre au point un fil de céramique que nous pourrions tisser, pour le mettre en volume et créer des formes. Nous n’en sommes pour l’instant qu’aux débuts, mais cette expérience est déjà marquée par un enrichissement mutuel de nos méthodes de travail, très complémentaires, et de nos univers esthétiques qui dialoguent et se répondent.

Les 01 et 02 juin, Le JAD participera à l’événement “Les Rendez-vous aux Jardins” autour du thème des cinq sens. Dans ce cadre et en lien avec le festival de la céramique de la ville de Sèvres, et pour faire écho au jardin comme lieu pour se ressourcer, vous proposerez un activité mêlant céramique et méditation. Que représente pour vous votre participation à cet événement ? 

Tout d’abord, je trouve beaucoup de satisfaction dans la transmission de mon savoir-faire. J’enseigne depuis quelques années maintenant la céramique chez Clay Atelier et voir mes élèves laisser s’exprimer leur créativité est pour moi une grande source de joie et d’inspiration. Par ailleurs, je pense que le contact avec la terre a indéniablement des vertus thérapeutiques et méditatives que je suis heureuse de partager avec le public. Cet événement m’en donne l’occasion, et se fera l’écho de  l’exposition Fair Play, présentée au JAD à la même période, qui proposera une réflexion sur le rôle que les métiers d’art et le design peuvent jouer pour contribuer à construire une société plus inclusive. 

Informations pratiques 

Les Rendez-vous aux Jardins au JAD
Les 01 et 02 juin 

Atelier découverte et bien-être avec Anne Agbadou-Masson 
01 juin à 14h30

L’été au Jardin #2, Carte Blanche à Les Sismo : Fair Play, design et métiers d’art beaux joueurs de l’inclusion ?
Du 29 mai au 22 septembre 2024
Vernissage le 28 mai à partir de 18h30

Propos recueillis par Brune Schlosser

Chargée de projets culturels et patrimoniaux à l’Institut pour les Savoir-Faire Français et correspondante de l’Institut au JAD