Marie Levoyet, regard singulier sur l’héliogravure
Marie Levoyet est héliograveur et imprimeur en taille-douce. Son savoir-faire, qui relève du monde de la photographie et de l’estampe, ne compte aujourd’hui qu’une quinzaine de représentants en Europe.
Associant la gravure sur cuivre à l’utilisation d’une gélatine photosensible, l’héliogravure repose sur un procédé photomécanique développé au XIXème siècle, permettant à la lumière de fixer et révéler l’image photographique. Ce travail d’interprétation, Marie Levoyet le mène en étroite collaboration avec des photographes et artistes de la scène contemporaine.
Installée au JAD depuis septembre 2022, elle entend y développer son activité et y approfondir ses recherches, notamment sur l’utilisation de la couleur en héliogravure. Un projet d’atelier encouragé par la Fondation Banque Populaire dont elle a récemment reçu une bourse de recherche. L’occasion pour elle de revenir sur son parcours, ses recherches et sur la singularité de son métier.
Vous êtes une des six lauréates de la Fondation Banque Populaire : en quoi consiste ce prix ?
En décembre 2022, j’ai eu le plaisir de recevoir le prix de la Fondation Banque Populaire. Aux côtés de la musique et du handicap, la Fondation Banque Populaire apporte en effet depuis 2013 son soutien à l’artisanat d’art. Cette année, le jury – présidé par Gérard Desquand, graveur héraldiste et Maître d’Art – a sélectionné six artisans d’art.
Ce prix nous offre un soutien financier et humain sur un à trois ans, afin que nous puissions développer notre activité et que nos ateliers puissent explorer et emprunter de nouvelles voies. Cette bourse soutient donc avant tout des projets de recherche. A mon sens, c’est en cela que c’est un très beau prix : en permettant à des ateliers d’ouvrir de nouvelles portes, il apporte un réel soutien à la création et au renouvellement des savoir-faire.
Au-delà de soutenir mon projet d’atelier dans son ensemble, cette bourse va me permettre, plus particulièrement, de développer mes recherches autour de l’héliogravure couleur.
Dans quelle démarche votre recherche autour de la couleur s’inscrit-elle ? quels en sont les enjeux ?
L’héliogravure en elle-même est un savoir-faire rare, mais l’héliogravure en quadrichromie l’est encore plus : il n’existe à ma connaissance que très peu d’ateliers spécialisés dans la couleur. Les techniques sont en train de se perdre et de disparaître, alors même que la demande du côté des photographes est bien existante. Il y a donc un réel enjeu de préservation du savoir-faire.
Mais cette démarche trouve surtout son origine dans ma volonté d’aller toujours plus loin dans le travail d’interprétation, en renforçant le contact direct avec l’image : avec la sensation et la matérialité de l’image. Pour proposer cette interprétation au plus proche de l’image photographiée, ma recherche se concentre en particulier sur les pigments. Mon ambition est en effet de fabriquer et d’utiliser des pigments composés d’éléments issus du lieu où les photographies sont prises : des terres, des sables, que j’irais collecter sur le terrain, aux côtés des artistes et photographes avec qui je travaille.
L’utilisation d’encres de couleur constitue par ailleurs un défi sur le plan technique. L’utilisation de la couleur pour la réalisation d’une héliogravure en quadrichromie exige en effet une précision accrue du travail de la plaque de cuivre – principalement la découpe du cuivre – qui me pousse à approfondir et revisiter les gestes et les techniques habituellement employés.
Ce rapport à l’image, à la couleur, comment s’est-il construit ? Quelle est l’histoire de votre rencontre avec l’héliogravure ?
A l’origine, j’ai fait un BTS en design textile : j’y ai étudié les techniques de tissage, mais aussi les teintures, les motifs… qui font échos à mes recherches actuelles autour des couleurs. Mais j’étais encore bien loin de l’héliogravure ou même de la gravure en général.
Ma rencontre avec cette technique s’est faite de manière inattendue, à l’issue de ma formation en design textile : le basculement s’est opéré lorsque j’ai rencontré, par un heureux hasard, Fanny Boucher, Maître d’Art et représentante de l’héliogravure en France. J’ai passé quelques semaines en tant que stagiaire dans son atelier, et je n’en suis finalement jamais repartie.
Comme pour de nombreux savoir-faire rares, il n’existe pas de formation à proprement parler pour l’héliogravure. C’est donc grâce à des dispositifs de soutien aux métiers d’art et d’accompagnement à la transmission que j’ai pu continuer de me former auprès d’elle. Le Prix de perfectionnement aux métiers d’art de la Ville de Paris [aujourd’hui Prix Savoir-Faire en Transmission, puis le programme Maître d’Art – Elève m’ont ainsi permis d’apprendre la technique de l’impression en taille-douce puis celle de l’héliogravure, tout en créant, en parallèle, en 2018, mon propre atelier.
Qu’est-ce qui vous a séduite dans cette technique si particulière ?
Dans un premier temps, ce qui m’a séduite dans l’héliogravure, c’est le fait qu’elle me soit enseignée par Fanny. Notre relation et la passion qu’elle a su me transmettre pour son métier ont été structurantes dans mon parcours.
Aujourd’hui, c’est la place centrale que tient l’échange avec les artistes qui me passionne. Au gré des projets, on découvre des univers précis, pointus, tellement personnels et différents les uns des autres. Ce sont majoritairement des photographes contemporains, mais aussi parfois des peintres ou des artistes plasticiens. Ils viennent de Géorgie, du Luxembourg ou encore des Etats-Unis. Chacun a une manière de travailler qui lui est propre et qu’il s’agit pour moi de saisir : comprendre l’ambiance de la photographie, le contexte de l’image, les sensations, les bruits, les souvenirs que l’artiste y associe. Ce sont tous ces éléments qui me permettent ensuite d’interpréter l’image et de la traduire par le biais du travail de gravure de la plaque de cuivre, ainsi que du choix des encres.
Enfin, la dimension empirique de cette science fait de l’héliogravure une technique très enrichissante. Le résultat dépend d’une multitude de paramètres : on n’a donc d’autre choix que de s’interroger en permanence sur la manière de faire. Et puis à l’issue de ce processus, ce sont les petits moments de grâce, où l’on sent que l’on touche à l’image dans toute sa sensorialité et sa matérialité. L’héliogravure renferme en effet une puissante dimension symbolique : par la matrice et le tirage, on fixe une image dans le temps, tandis que la technique se charge d’en révéler les aspérités et l’humanité.
Depuis votre installation au JAD, comment est-ce que la proximité avec d’autres créateurs nourrit votre travail ?
Les échanges et la collaboration avec les artisans d’art et designers du JAD constituent un levier de recherche et de création essentiel à la préservation et au renouvellement des savoir-faire. C’est pour moi très inspirant que d’autres créateurs portent leurs regards sur l’héliogravure, les procédés photographiques qu’elle mobilise ainsi que les matériaux qui y sont associés. Ces regards singuliers m’ouvrent de nouvelles perspectives, qui me permettront d’explorer les potentialités de ce savoir-faire et de continuer d’en redéfinir les frontières.
Entretien mené par Brune Schlosser
Chargée de projets culturels et patrimoniaux à l’INMA
et correspondante INMA au JAD
Crédits photos : © Eric Chenal – © CD92/Julia Brechler