Baptiste Meyniel, création et expérimentation formelle
Baptiste Meyniel est designer. Inscrit dans une démarche de recherche au long cours, son travail donne une place centrale au dessin, notamment dans sa relation à la matière, au volume et plus globalement à l’objet. De plus, les matériaux, les outils et les savoir-faire relevant de l’artisanat d’art et de l’industrie constituent, dans sa démarche, un levier majeur de création.
Baptiste Meyniel rejoint les ateliers du JAD en septembre 2022 pour y déployer son projet de recherche et de création, en étroite relation avec les autres occupants. Une pratique du projet à plusieurs voix qu’il a déjà expérimentée dans le cadre du projet d’exposition Pirouettes. Visible jusqu’au 25 mars au FRAC Picardie, cette exposition est le fruit d’une proposition commune avec les designers Jean-Simon Roch, Marion Pinaffo et Raphaël Pluvinage. A cette occasion, Baptiste Meyniel revient sur son parcours, sa démarche de recherche et de création ainsi que sa conception du dialogue entre métiers d’art et design.
Depuis le 20 janvier et jusqu’au 25 mars, votre travail est montré aux côtés de celui de Jean-Simon Roch, Marion Pinaffo et Raphaël Pluvinage au FRAC Picardie dans l’exposition Pirouettes : quelle est la genèse de ce projet ? et comment la collaboration entre vous s’est-elle nouée ?
Pirouettes est un projet initié en 2020 par Vincent Tuset-Anrès, directeur de Fotokino à Marseille. Considérant qu’il y avait des zones de rencontre possibles dans nos démarches respectives, il nous a réunis, Jean-Simon Roch, Marion Pinaffo, Raphael Pluvinage et moi, et nous a donné carte blanche pour monter une exposition.
Nous nous sommes tout d’abord appuyés sur les points communs de nos processus créatifs. Comme nous menons tous les quatre des démarches de recherche sur le long terme pour aboutir à nos réalisations, nous avons décidé de montrer ce qui se cache derrière, notre dynamique de création : ce dont on s’imprègne, ce à partir de quoi on travaille, ce qui nourrit notre pratique. Cette exposition ne présente donc aucune limite en termes de médium : on y retrouve aussi bien des pièces en verre issues de ma résidence au Cirva, que des affiches sérigraphiées à partir de poudre de feu d’artifice réalisées par Marion et Raphaël, des dispositifs autour de la mise en mouvement d’objets mis au point par Jean-Simon, ou encore des dessins, des maquettes, des ouvrages, des vidéos, des extraits de collections personnelles, etc.
Mais c’est par le biais du dispositif scénographique que nos démarches se sont réellement rencontrées. Le travail de mise en espace de l’exposition a en effet permis de matérialiser les connexions que nous pressentions entre nos recherches : nous avons mélangé nos travaux, donnant ainsi vie aux liens sous-jacents dans nos démarches respectives. Faisant écho aux fouilles archéologiques et conçu comme une cartographie de nos territoires de création, le dispositif de monstration que nous avons mis au point vise donc à mettre en mouvement le regard du visiteur, le faisant passer d’un objet à un autre et suscitant ainsi la surprise. Une invitation à entrer en interaction avec les pièces que nous avons voulu pousser encore plus loin, en donnant la possibilité au visiteur de manipuler les objets exposés.
Enfin, après avoir été montrée à Fotokino en septembre 2021, l’exposition s’est installée au FRAC Champagne-Ardennes au printemps 2022, puis au FRAC Picardie où elle est présentée jusqu’au 25 mars 2023. Ce qui est passionnant, c’est que le projet – par essence évolutif – s’est nourri de cette itinérance et de cette activation sur le temps long. Puisque Pirouettes vise à montrer nos recherches en cours, nous en renouvelons le contenu dans le temps ; de plus, d’un espace d’exposition à un autre, le dispositif scénographique est transformé, s’adaptant aux spécificités du lieu et mettant au jour de nouvelles connexions entre nos travaux.
Le contenu de cette exposition donne donc à voir votre démarche de recherche et ses multiples matérialisations. Mais dans quoi cette démarche prend-elle racine ? et comment a-t-elle dessiné votre parcours ?
C’est dans le cadre de mes études à l’ENSCI – Les Ateliers que j’ai posé les bases de la démarche de recherche dans laquelle je m’inscris encore aujourd’hui. Au-delà de décerner un diplôme de créateur industriel, cette école permet en effet à chacun de tracer sa propre voie. En ce qui me concerne, le projet de diplôme a été un moment particulièrement fondateur car j’ai pu poser les éléments clés de ma recherche : le dessin, le rapport à la matière, la discussion qu’il peut y avoir entre ce qui se passe sur le papier et ce qui se passe quand on est en prise avec la matière.
Cette exploration du dessin conçu comme la mise en mouvement d’une forme offrant in fine une perception volumétrique, je l’ai menée d’abord grâce à des outils à dessin conventionnels, puis grâce au détournement d’objets (balais, râteaux, etc). Enfin est venue l’idée de fabriquer mes propres outils. J’ai donc créé des outils reprenant des formes de produits industriels (poutrelles IPN, profils extrudés, briques, etc) qui m’ont permis de développer un vocabulaire géométrique, linéaire, autour de l’extrusion, donnant d’office une matérialisation au dessin. Ces outils n’ont, depuis, cessé de nourrir mon travail, cherchant à comprendre toujours plus le potentiel et se transformant au gré de mes recherches. J’en ai d’ailleurs récemment mis au point une version simplifiée et clé en main, en concevant un kit édité par Fotokino, co-édité par le Frac Picardie, et avec le soutien du Signe – Centre national du graphisme.
Depuis mon diplôme, je n’ai donc eu de cesse de poursuivre cette démarche-là en cherchant les cadres propices à la poursuite de mes explorations. C’est ainsi que de 2019 à 2022 j’ai été en résidence au CIRVA (Centre international de recherche sur le verre et les arts plastiques), avec un projet lié au dessin et à l’utilisation de produits semi-finis industriels comme moules dans lesquels souffler du verre.
Par ailleurs, je me suis formé à l’ENS Cachan et ai obtenu l’agrégation en arts appliqués, ce qui m’a ouvert la porte de l’enseignement. En parallèle de mon activité de designer, j’enseigne donc à l’ENSAAMA où j’occupe un poste de professeur en design d’objet. Dans ce cadre, nous nous interrogeons avec les étudiants sur la manière de faire de la recherche, de construire un protocole, de mettre en forme les choses, une dynamique qui m’est chère. Un partenariat s’est par ailleurs noué entre l’ENSAAMA et le JAD. C’est dans ce cadre qu’a eu lieu un workshop de 5 jours avec les 5ème années de Design d’objet sur la conception et la fabrication d’objets en plâtre intégrés au bâti.
Aujourd’hui quelle place le projet du JAD trouve-t-il dans votre démarche de recherche et de création ?
Chaque rencontre que je fais avec un savoir-faire ouvre de nouveaux champs de réflexion. Ce qui m’intéresse, c’est ce qui émerge du dialogue entre la maîtrise de son savoir-faire par l’artisan d’un côté et le caractère généraliste de mon regard qui interroge les formes, les outils, les gestes et les matériaux qu’il emploie de l’autre. De plus, les affinités avec le langage formel que je déploie dans ma pratique sont nombreuses : le staffeur passant d’un profil en 2D à un volume en 3D avec la technique du trainage fait écho à ma démarche de mise en volume du dessin ; tandis que les gestes d’un artisan pratiquant l’impression au cadre plat sur étoffes évoquent, pour certains, ceux que j’ai développés dans ma pratique du dessin.
Le dialogue entre le design et les métiers d’art constitue donc pour moi un formidable levier de création. Et si les premières expérimentations réalisées en collaboration avec des créateurs du JAD s’avèrent déjà pleines de promesses, l’arrivée de nouveaux créateurs portant d’autres savoir-faire contribuera, j’en suis sûr, à ouvrir encore de nouveaux horizons.
Entretien mené par Brune Schlosser
Chargée de projets culturels et patrimoniaux à l’INMA
et correspondante INMA au JAD