
Vincent Le Bourdon, réinventer les usages de la terre

Fondateur du studio elementos, Vincent Le Bourdon est designer. Au JAD, où il est installé depuis le printemps 2024, il développe sa recherche autour de la terre. Dans ses projets personnels et au fil de ses collaborations, il explore ce matériau autant sensible que technique. De la conception d’espaces à l’objet en passant par le mobilier, ses créations associent savoir-faire artisanaux, innovation et recherche d’une esthétique contemporaine. Dans cet entretien, il revient sur son parcours et nous partage sa vision de la création.
Tu es designer et architecte d’intérieur de formation. Qu’est-ce qui t’a amené à t’intéresser à la terre ?
Avant de fonder le studio elementos, j’ai travaillé pendant une dizaine d’années sur des projets très variés, à différentes échelles : de la scénographie d’exposition à l’aménagement intérieur, en passant par le design d’objets et de mobilier. Mais une question revenait sans cesse : celle de la ressource. Dans nos métiers, on est souvent prescripteurs de matériaux industriels, qui traduisent une forme de déconnexion avec les savoir-faire et les territoires. Très vite, j’ai ressenti le besoin d’interroger ce rapport à la matière dans chacun de mes projets. Pour moi, la matière n’est pas seulement un choix technique ou esthétique : elle est un vecteur de liens avec le contexte du projet et son environnement, avec celles et ceux qui lui donnent forme. C’est cette réflexion qui est à l’origine d’elementos, et qui m’a conduit à m’intéresser aux matériaux et en particulier la terre.
Qu’est-ce qui t’a plu dans ce matériau en particulier ?
En 2017, j’ai travaillé sur un projet de scénographie d’exposition autour de la terre. Ça a été une rencontre très percutante, presque émotionnelle pour moi. Ce qui m’a tout de suite fasciné avec ce matériau, c’est qu’il est à la fois universel et singulier : on trouve de la terre partout, mais elle porte à chaque fois une histoire profondément ancrée dans son sol d’origine. Ici, on ne parle pas de la terre organique de surface qu’on trouve dans les jardins, mais de couches sédimentaires qui racontent une mémoire géologique millénaire. Selon les lieux, la terre n’aura pas la même couleur, les mêmes propriétés, etc. Cette diversité ouvre un potentiel d’expérimentation presque infini.
J’ai aussi été très marqué par la réaction du public dans cette exposition. J’ai vu les visiteurs – adultes comme enfants – s’approcher des murs enduits de terre crue avec le même émerveillement, le même appel du toucher. Pour moi, la terre renvoie à quelque chose de très fondamental, presque inscrit dans notre ADN, au-delà des constructions culturelles. C’est ce lien sensible, immédiat, qui m’a profondément touché.
Alors je me suis intéressé à l’histoire de la terre, intrinsèquement liée à celle de l’humanité : avant même la maîtrise du feu, elle servait à modeler des objets, des contenants, des statuettes ; puis, avec la sédentarisation, on a commencé à l’utiliser pour construire. Il y a cette idée très puissante d’une matière disponible sous nos pieds, accessible à tous. Petit à petit, la terre a été abordée à travers son côté plus expressif, décoratif, esthétique. Un peu plus tard encore c’est à ses propriétés techniques que l’on s’est intéressé : ses capacités d’inertie, de régulation thermique et hygrométrique qui en font un matériau très performant pour l’habitat.
Par ailleurs, la terre est une matière entièrement recyclable : il suffit d’y ajouter de l’eau pour qu’elle redevienne modelable. Elle est à la fois un matériau sensible et technique, une ressource innovante, en phase avec les enjeux écologiques contemporains. C’est aussi une matière silencieuse dans un monde très bavard, une matière qui apporte une réponse à une recherche de sens, qui permet d’augmenter notre capacité de réception et de perception du monde. C’est ce qui m’a donné envie d’explorer cette ressource, d’en célébrer la beauté et de réinventer ses usages dans un cadre contemporain.
Il y a donc cette rencontre avec la terre en 2017 et sept ans plus tard la fondation du studio elementos. Comment s’est fait ce cheminement ?
Le studio elementos est né d’un long processus, fait de curiosité, de formation et d’expérimentations. Depuis 2017, je me suis formé à différentes techniques liées à la terre, en particulier l’enduit, mais aussi le modelage et le pisé afin de donner la possibilité à cette matière de s’exprimer quelle qu’en soit l’échelle. Ce chemin m’a conduit au Mexique, où j’ai vécu plusieurs années. Là-bas, j’ai fait des rencontres décisives dans une filière terre très vivante, ancrée dans des pratiques ancestrales mais aussi dans une dynamique contemporaine de construction et d’aménagement intérieur.
Quand je suis rentré en France en 2023, j’ai eu envie de poursuivre cette démarche en lançant un projet personnel, mêlant recherche et mise en œuvre concrète. Je voulais créer un cadre où la pratique artisanale rencontre l’innovation et la réflexion sur le design. Un véritable laboratoire, où l’on travaille de ses mains tout en imaginant de nouvelles formes – que ce soit pour des objets, du mobilier ou des espaces – avec toujours cette envie de proposer une esthétique nouvelle.
Ce qui m’anime aujourd’hui, c’est de créer des choses qui parlent du présent : pas un retour au passé, pas une projection futuriste, mais une réponse sensible à notre époque et ses enjeux contemporains.

© Vincent Le Bourdon / Elementos studio


La dimension collaborative a toujours été présente dans ton travail. Comment s’incarne-t-elle au JAD aujourd’hui ?
La collaboration a toujours été au cœur de ma pratique. J’aime travailler avec d’autres savoir-faire, m’appuyer sur d’autres expertises que la mienne, me confronter à une vision différente sur ma propre pratique et mon propre matériau. C’est une manière d’ouvrir le champ des possibles. Aujourd’hui, le JAD m’offre cette possibilité à travers un lieu de travail – mon atelier – au sein d’un collectif où les échanges sont constants. Dans ce contexte, j’ai commencé à travailler avec Lucie Ponard, designer et céramiste, ainsi qu’avec Carole Calvez, designer olfactif, avec qui j’ai poursuivi mes recherches autour des usages de la matière terre dans des projets d’aménagement intérieur.
Avec Lucie Ponard, nous explorons ensemble le dialogue entre enduits de terres crues et carreaux émaillés à l’échelle architecturale, sur des surfaces murales. C’est une recherche autour des textures, du contraste entre le mat et le brillant. Pour ce projet, nous avons travaillé – comme le fait Lucie dans son projet de recherche – avec des terres d’excavation collectées à Antony. A partir de là, nous avons développé une palette d’émaux et d’enduits et mené un travail formel autour du plissé. Dans un second temps, nous avons expérimenté des compositions mêlant carreaux émaillés et enduits en terre crue. Ces recherches donneront lieu à une première présentation lors de la Paris Design Week.
Avec Carole Calvez, nous avons abordé un autre versant sensoriel de la terre : son odeur. Chaque argile possède une signature olfactive propre et ce potentiel reste encore peu exploré dans le champ de l’habitat. Ensemble et en collaboration avec amàco, nous avons mené une phase de recherche pour réfléchir à comment restituer et diffuser l’odeur, ce qui nous a amené à travailler sur une première série d’objets en terre crue dont la forme, la texture, la couleur donnent un premier champ d’interprétation de l’odeur. Ces objets, qui proposent une expérience sensorielle complète, seront également présentés à la Paris Design Week.
Enfin, cette dynamique de collaboration ne se limite pas au JAD. Je travaille actuellement avec PZ Studio, studio de design, à la création d’une assise en bois et terre crue, en phase d’étude. Ces échanges nourrissent profondément ma recherche et continueront d’accompagner le développement du studio.

© Lucie Ponard

© Lucie Ponard

© Vincent Le Bourdon / Elementos studio
Lors de la Paris Design Week, tu présenteras notamment ton travail à la galerie Michel Rein. Peux-tu nous parler de cette exposition ?
J’ai en effet été invité par la galerie Michel Rein à exposer mon travail. Résonance présentera des projets personnels et de collaboration, en dialogue avec des œuvres d’autres artistes de la galerie. Pour moi, cette exposition est à la fois un aboutissement et un point de départ. Elle réunira les différents projets sur lesquels j’ai travaillé depuis la fondation du studio elementos il y a un peu plus d’un an, de l’espace à l’objet. Elle marquera aussi une nouvelle étape de la vie du studio en tant que diffuseur d’objets et de mobilier. Pendant la Paris Design Week, mon travail sera aussi présenté à la Factory où le JAD exposera ses créateurs, dans une mise en scène pensée comme un inventaire sensible, reflétant la richesse des démarches individuelles tout en soulignant les synergies créatives.

© amàco

© Vincent Le Bourdon / Elementos studio

Quelle place cette rencontre avec le public tient-elle pour toi ?
La rencontre avec les visiteurs, que ce soit dans ce type d’événement professionnel ou dans des cadres plus grand public comme les Journées Européennes du Patrimoine ou les Journées Européennes des Métiers d’Art, est essentielle pour moi. Elle me permet de confronter les préoccupations qui irriguent ma pratique, de mesurer leur résonance auprès du public et de sentir que mes propositions ont la possibilité de rassembler.
Le JAD à la Paris Design Week Factory, Galerie Joseph
Du 03 au 08 septembre 2025
Exposition Résonance, elementos x Michel Rein à la galerie Rein.
Du 04 au 27 septembre 2025
Dans le parcours de la Paris Design Week du 04 au 14 septembre

© Clara Chevrier


Propos recueillis par Brune Schlosser,
correspondante de l’Institut pour les Savoir-Faire Français au JAD
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