
Lucie Ponard, l’écologie des matériaux

© Maëlys Gaska pour l’Institut pour les Savoir-Faire Français
Lucie Ponard est une designer et céramiste qui travaille à partir des ressources de son territoire. Au Jardin des métiers d’Art et du Design (JAD), où son atelier est installé depuis le printemps 2024, elle poursuit une recherche engagée : revaloriser les terres d’excavation et les ressources locales à travers la céramique contemporaine. Exposé jusqu’au 03 août au JAD dans le cadre d’Aléas, pratique de l’adaptation, son travail entre design, artisanat et géologie interroge notre rapport à notre environnement et nos manières d’habiter le monde. C’est aujourd’hui en tant que lauréate de l’appel à projet "Partage ton Grand Paris" qu’elle poursuit ses recherches. Dans cet entretien, elle revient sur son parcours et sa démarche de création autour de la revalorisation de la matière.
Peux-tu nous raconter ton parcours et ce qui t’a menée à la céramique et au design ?
Je viens d’abord du design textile, que j’ai étudié à l’École Duperré puis à la Haute école des arts du Rhin. C’est pendant ces années que mon intérêt pour la matière s’est affirmé, notamment à travers un projet autour du chanvre. Cette expérience m’a donné envie de me tourner vers la recherche en matériaux et le développement de nouvelles matières.
C’est à la même époque que j’ai eu envie de découvrir davantage la céramique. Alors j’ai fait un stage chez Nobuhiko Tanaka, près de Tokyo, où j’ai été initiée à de nombreuses techniques céramiques, en particulier celles liées à l’émaillage. Cette immersion a été déterminante : elle m’a ouvert à la richesse de ce médium et à son potentiel créatif.
J’ai ensuite poursuivi avec un master en design d’objet à l’Académie royale des beaux-arts de La Haye aux Pays-Bas.C’est dans ce cadre là que j’ai commencé ma recherche autour de la revalorisation de déchets industriels pour créer des émaux. Aux Pays-Bas, dans les années 1950, on utilisait en effet comme remblais des déchets industriels. Sauf qu’avec le temps, ces déchets industriels se sont mêlés avec le reste des composants du sol. C’était notamment le cas dans un parc à proximité de chez moi, où l’on trouvait des dunes de sable auquel s’étaient mêlés ces déchets. Ce parc a été mon premier terrain d’étude. C’est là que s’est vraiment affirmée ma volonté de lier design, céramique, géologie et industrie à travers une approche engagée des matériaux.
Cette recherche autour de la terre, tu l’as ensuite poursuivie et développée ?
Oui, tout à fait, à mon retour en France, je me suis documentée sur les gisements parisiens et franciliens. C’est comme ça que j’ai découvert la problématique des terres d’excavation : quand on construit un parking, une ligne de métro etc, on retire d’importantes quantités de terre qui sont ensuite difficiles à revaloriser. Alors j’ai répondu à l’appel à projet FAIRE Paris du Pavillon de l’Arsenal. Ainsi, j’ai pu concentrer mes recherches sur l’utilisation de terres issues des chantiers d’excavation du Grand Paris dans la création céramique, tant pour la pâte céramique que pour les émaux.
J’ai travaillé avec des chercheurs comme la physico-chimiste Myriam Duc de l’Université Gustave Eiffel pour étudier les gisements, identifier la composition des terres, etc. Je me suis rapprochée d’acteurs industriels comme Placoplatre pour collecter leurs déchets de carrière. J’ai ensuite mené des premières expérimentations à partir de ces terres pour produire des carreaux. Ce qui m’intéressait, c’était l’idée que les déchets issus de l’architecture puissent, en quelque sorte, retourner au bâtiment, en devenant ornements de façade : comme si l’édifice portait sur lui les traces visibles de son histoire.
Ce qui m’anime, c’est vraiment de partir de ressources locales, de valoriser l’existant en révélant le potentiel de matériaux délaissés. Au-delà de l’aspect écologique, cette approche ouvre un véritable terrain d’exploration : elle stimule la créativité et met en lumière la richesse intrinsèque de la matière. Chaque chantier offre des terres différentes. Selon la profondeur à laquelle elles sont prélevées, leur composition minérale varie. Et c’est à la cuisson que cette diversité se manifeste pleinement, donnant naissance à une large palette de couleurs et de textures.



FAIRE PARIS, Pavillon de l’Arsenal © Vincent Fillon
Comment cette recherche autour des matériaux s’est ensuite déployée dans diverses créations et sous diverses formes ?
Cette recherche trouve notamment des applications dans le domaine architectural, à travers la création de carreaux décoratifs. Plusieurs lieux m’ont sollicitée dans ce cadre, comme récemment le Bon Marché. Le carreau est aussi devenu pour moi un module d’expression que j’ai exploré dans des pièces de mobilier, c’est le cas, par exemple, du guéridon actuellement exposé au JAD dans le cadre de Aléas, pratiques de l’adaptation.
Par ailleurs, certains projets m’ont permis d’aborder cette recherche sous un angle plus artistique et poétique. J’ai notamment réalisé une étude pour une pièce qui représente une coupe géologique de l’Île-de-France sous forme de vase, chaque émail correspondant à une couche géologique spécifique.

© Maxime Meignen


Guéridon en terres émaillées, dans l’exposition « Aléas, pratiques de l’adaptation » © Lucie Ponard
La notion de revalorisation se retrouve souvent dans ton travail : tu travailles notamment à partir de vaisselle de seconde main ?
Effectivement, ce projet est parti d’une constatation simple : dans les boutiques de seconde main, beaucoup d’objets de vaisselle en céramique restent invendus. Souvent, ils sont envoyés à la déchetterie, principalement à cause de leurs motifs considérés comme démodés ou de leur aspect vieilli, alors que leur structure est souvent parfaitement préservée.
Plutôt que de repartir de zéro, j’ai choisi de travailler sur la transformation de leur surface, via des techniques comme le sablage ou le réémaillage. Mon approche consiste à créer à partir de l’existant, en imaginant des formes de réemploi à la fois créatives et sensibles, motivées autant par des enjeux environnementaux que par une volonté d’économie de moyens.



© Lucie Ponard
Le JAD accueille en ce moment la restitution du programme d’Éducation Artistique et Culturelle Matière à Penser destiné à faire découvrir les métiers d’art et du design à des collégiens. Tu as toi aussi souvent travaillé avec des scolaires. Quelle place la transmission tient-elle dans ton travail ?
J’ai participé à plusieurs résidences territoriales artistiques et culturelles en milieu scolaire, où des créateurs sont invités à co-construire avec des élèves de lycées professionnels des projets artistiques. Ces résidences favorisent un véritable dialogue entre l’artiste et les élèves.
Pour ma part, j’ai collaboré dans le cadre de ces résidences avec le designer Souleimen Midouni autour de la rencontre entre le travail du bois et celui de la terre. Nous avons réalisé, par exemple, des plateaux en bois peints avec des peintures à base de terres de chantier.
Ces résidences sont pour moi des moments précieux de partage et d’exploration collective. Elles m’ont également permis d’élargir le champ d’application de ma recherche sur les terres d’excavation, notamment en les utilisant en temps que pigments pour des peintures.

Résidence territoriale artistique et culturelle en milieu scolaire © Lucie Ponard


Plateaux peints avec des rebuts de chantier, collaboration avec Souleimen Midouni – 2024 © Lucie Ponard
Le dialogue entre les savoir-faire est au cœur du projet du JAD où tu es installée depuis maintenant un an. Comment est-ce que cet environnement contribue à nourrir ta pratique ?
Au JAD, nous bénéficions d’ateliers privatifs tout en étant entourés de créateurs aux pratiques et médiums très variés, ce qui crée une réelle émulation. De ces échanges naissent parfois des collaborations, comme c’est le cas avec Vincent Lebourdon, designer et fondateur d’elementos studio.
Nous travaillons ensemble pour faire dialoguer sa pratique de la terre crue avec ma recherche autour des émaux, en utilisant des terres issues du chantier d’une base nautique dans les Hauts-de-Seine. Nos premières créations ont été présentées lors de la Milan Design Week, au Labo Cultural Project, où le JAD exposait.
Par ailleurs, les nombreuses activités culturelles que propose le JAD au grand public sont aussi de belles opportunités pour nous. C’est ce qui nous a permis Vincent et moi d’animer un stage pratique pour partager avec des professionnels comme des amateurs notre démarche de recherche.



Recherches en collaboration avec Vincent Le Bourdon, designer et occupant du JAD © Lucie Ponard
Récemment, tu as été lauréate d’un appel à projet de la Société des Grands Projets (anciennement Société du Grand Paris) en partenariat avec le Centquatre. Un mot sur les recherches que tu mènes dans ce cadre ?
Je commence en effet un nouveau projet dont l’ambition est de monter des dispositifs d’œuvres participatives à partir d’encres et de peintures réalisées avec des terres de chantier. Pour l’instant je suis en pleine R&D, mais un des objectifs est de réussir à mettre au point des crayons et des pastels aux couleurs des terres de Paris.
Propos recueillis par Brune Schlosser
correspondante de l’Institut pour les Savoir-Faire Français au JAD
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