Loann Djian, faire du cuir un bijou

Loann Djian, designer cuir dans osn atelier au BDMMA
Loann Djian dans son atelier au BDMMA © Alexandre Labaste
Prototype création designer cuir Loann Djian
Prototype création modules de cuir © Studio Loann

Loann Djian est designer cuir. A l’issue d’une formation en design textile, il se spécialise, en autodidacte, dans le travail du cuir. Depuis 2021, il développe au sein de son atelier “Studio Loann”, une pratique innovante du matériau, qu’il aborde comme un bijou. Au JAD, où il est installé depuis septembre 2023, il poursuit sa démarche d’innovation aussi bien technique qu’esthétique. Il s’engage également pour la transmission et la sensibilisation aux savoir-faire à travers sa participation au dispositif départemental “Chemin des Arts” mené par le JAD en partenariat avec La Source Rodin qui s’est achevé en mai 2024.
Dans cet entretien, Loann Djian revient sur son parcours et son cheminement en tant que créateur au profil hybride, entre artisan d’art et designer.

A l’origine vous avez suivi une formation en design textile et vous avez développé votre connaissance du cuir en autodidacte. En quoi est-ce que cela a façonné votre parcours ?

Mon parcours est assez singulier. J’ai débuté avec un BTS en design textile option matériaux et surfaces à Olivier de Serres – Ensaama. Une formation au cours de laquelle j’ai pu explorer diverses pratiques comme le tissage, la maille, la sérigraphie, etc. C’est à la suite de ce BTS, lors d’une FCND (Formation Complémentaire Non Diplômante) qu’a eu lieu ma première rencontre avec le cuir, lors d’un stage en recherche et développement matières chez Maje. C’est à travers la collecte des composants inutilisés par les stylistes, et les rebuts de cuir délaissés par les couturières, que j’ai pu mettre en place des premières associations de matériaux. Cette première expérience de R&D m’a poussé à me lancer dans le travail du cuir, alors même que je n’avais jamais été formé à travailler ce matériau dans les règles de l’art. Ainsi, tout en cherchant à respecter les techniques traditionnelles du cuir, j’ai exploré la matière sans aucun conditionnement, en poursuivant un DSAA Métiers D’art toujours à l’Ensaama. Cette liberté m’a permis de repenser l’utilisation du cuir et de challenger ce matériau puissant et polyvalent.

Votre manière de travailler le cuir est originale. Dans vos créations, il prend presque l’aspect d’un bijou. Comment décririez-vous votre esthétique et quelles sont vos principales sources d’inspiration ?

Au cœur de ma pratique se trouve d’abord ma passion pour le matériau : le cuir, pour moi, c’est un matériau noble aux multiples facettes, capable de raconter une histoire riche et puissante. Il possède une magnifique dualité, il peut être aussi rustique et modeste que sophistiqué et précieux. J’aime la manière dont il évoque à la fois la simplicité des cordonniers et l’élégance des créations haut de gamme.

Ensuite, au cours de ma formation, j’ai travaillé sur le baroque et ses cinq principes fondateurs que sont l’inconstance, l’instabilité, l’irrégularité, l’éphémère et l’illusion. Ces notions ont profondément influencé mon esthétique. A ce titre, Alexander McQueen a été une référence importante dans mon travail.

Ainsi, dans mes créations, je cherche à proposer une interprétation contemporaine des principes du baroque à travers le travail du cuir. J’essaye d’apporter de la lumière sur les tranches du cuir et de proposer de nouvelles techniques d’assemblage sans couture. Les prototypes que je développe se concentrent sur la modularité, créant des compositions dynamiques et rythmiques, typiquement baroques. Enfin, l’aspect le plus caractéristique de mon travail est que je monte le cuir comme on sertit un diamant, le traitant avec une finesse extrême pour en révéler toute la délicatesse. Ce travail de gainage, je le réalise sur des composants habituellement utilisés en maroquinerie et en bijouterie (des boutons, des passants, des pièces de bijoux) dont je détourne l’usage pour challenger le matériau. Ainsi, ma démarche est transgressive sur le plan technique, mais s’ancre sur le plan esthétique dans la tradition, à travers le choix du laiton et de couleurs de cuir naturelles. 

A travers cette démarche, mon objectif est d’apporter une nouvelle sensibilité au cuir en le valorisant de manière précieuse et innovante. Je contribue ainsi à ma petite échelle à l’évolution du monde du cuir, en sublimant le matériau et en repoussant les limites.

La dimension entrepreneuriale est également centrale dans votre quotidien. Pouvez-vous nous en dire davantage ?

Au départ, je ne pensais pas me lancer en tant qu’entrepreneur. Après mon DSAA, j’ai poursuivi un master en partenariat avec le Comité Colbert, travaillant avec de grandes maisons de luxe comme Louis Vuitton et Maison Delisle. En parallèle, mon concept commençait à s’affirmer et je sentais qu’il y avait un véritable potentiel pour son développement sur le marché. Et puis un jour, j’ai trouvé l’impulsion et j’ai créé mon propre atelier, dans le but de pousser mon produit et de collaborer avec ces grandes maisons. 

J’ai créé ma première collection dans ma chambre d’étudiant, équipé d’une petite découpeuse laser. Puis, en 2022, j’ai pu m’installer dans mon premier atelier au BDMMA (Bureau du Design, de la Mode et des Métiers d’Art de la Ville de Paris). Les deux années que j’y ai passées ont été déterminantes : les Ateliers de Paris ont été une vraie rampe de lancement pour moi. J’y ai développé mon réseau, noué mes premières collaborations avec une prestigieuse maison de spiritueux ainsi qu’une maison de mode renommée. Cette période m’a ouvert le champ des possibles en m’aidant à identifier les segments de marché sur lequel je pouvais me positionner, de la mode au packaging en passant par le retail et l’architecture.

Studio Loann designer cuir
Travail du cuir chez Studio Loann © Studio Loann

La réflexion autour de l’industrialisation de vos process fait également partie intégrante de votre pratique.

Absolument. Mon approche est conditionnée par une réflexion approfondie autour de l’industrialisation de mes processus. Tout d’abord il y a la question du sourcing des composants en maroquinerie et bijouterie, ainsi que des cuirs, qui représente une part importante de mon travail et nécessite une véritable expertise en R&D. Ensuite, j’utilise des outils et des machines de maquettiste et de prototypiste ce qui me permet de faire systématiquement le lien entre mes développements initiaux et leur application industrielle. Enfin, je ne crée pas mes outils, mais je développe mes propres gestes et gabarits, et je détourne l’utilisation de machines existantes pour répondre aux besoins spécifiques à ma pratique, à l’échelle du prototype comme de la production industrielle.

Au JAD, vous avez participé au programme d’Éducation Artistique et Culturelle “Chemin des Arts”. Qu’est-ce que cela représente pour vous ? 

Participer à ce programme était une première pour moi. L’objectif était d’initier une classe de collégiens aux métiers du cuir de manière ludique et créative. Je leur ai donc proposé un atelier autour de différentes techniques liées au cuir : l’embossage, la teinture, la découpe, etc. J’ai beaucoup aimé partager avec eux ma passion et leur montrer que la création est accessible à chacun. En parallèle, la designer textile et tisserande Rose Ekwe a travaillé avec eux autour du tissage. Puis, il y a eu un temps de mise en commun qui visait à faire dialoguer nos pratiques et à les combiner dans une création collective. Un aspect de ce programme qui résonne particulièrement avec le projet du JAD qui donne une place centrale à la collaboration et l’hybridation des savoir-faire. 

Chemin des Arts EAC La Source Rodin Département des Hauts-de-Seine
Chemin des Arts © Studio Loann
Chemin des Arts La Source Rodin Loann Djian & Rose Ekwe
Chemin des Arts © Studio Loann

A ce propos, y a-t-il depuis votre arrivée au JAD des pistes de collaboration qui se dessinent avec d’autres créateurs ? 

Cela fait un moment que je souhaite créer des pièces décoratives destinées à l’architecture d’intérieur. C’est dans cette perspective que j’ai présenté à l’occasion de la Milan Design Week en avril dernier un panneau décoratif fait de modules de cuir dans l’exposition du JAD au LABO Cultural Project. Pour aller plus loin dans cette voie, j’aimerais explorer les pistes de collaboration possibles avec Luce Couillet, artisan textile et plasticienne. Sa pratique originale du tissage et la diversité des matériaux qu’elle emploie pourraient donner lieu à un dialogue intéressant avec mon travail du cuir. Je suis curieux de voir comment nos sensibilités pourraient s’enrichir pour donner naissance à des créations uniques et innovantes.

Informations pratiques 

Chemin des Arts
Dispositif départemental d’Education Artistique et Culturel porté par le JAD en partenariat avec La Source Rodin.

Propos recueillis par Brune Schlosser

Chargée de projets culturels et patrimoniaux à l’Institut pour les Savoir-Faire Français
Correspondante de l’Institut au JAD