Martin Blanchard, du design à la direction artistique : faire émerger la création
Martin Blanchard est designer. Dans sa démarche, la relation avec les artisans est centrale, une approche qui se traduit par la prise en compte des procédés de fabrication dès la conception et une mise en valeur de ceux-ci dans l’objet fini. Les préoccupations environnementales et la recherche de matériaux et de modes de fabrication plus durables guident également ses recherches et ses créations.
Pour le week-end de clôture de l’exposition Pages Blanches, les 2 et 3 décembre 2023, le public est invité à participer à des ateliers créatifs, pensés par Martin Blanchard et conçus en collaboration avec le Makerlab du JAD. A cette occasion, le designer revient sur son parcours de créateur autodidacte, et les réflexions qui nourrissent sa pratique, du design d’objet à la scénographie, en passant par la direction artistique.
Ce week-end seront proposés au JAD deux ateliers de votre conception : l’un pour enfants l’autre pour adultes. En quoi ces ateliers vont-ils consister ? A travers cette démarche, qu’avez vous l’intention de transmettre et de partager ?
Tout d’abord, ces ateliers s’inscrivent dans le propos de l’exposition Pages Blanches et s’inspirent des notions de liberté de création et de valorisation du processus. Mon objectif est en effet de donner à comprendre la réflexion qui accompagne le travail de conception, et de permettre à tout un chacun de laisser parler sa créativité.
Dans le cadre de l’atelier pour adultes, le public sera ainsi invité à concevoir des lampes associant papier et bois massif. Dans une démarche d’upcycling, les matériaux à disposition seront issus de chutes d’ateliers, à partir desquelles il s’agira de trouver des solutions techniques et esthétiques afin de donner vie à des objets lumineux.
L’atelier pour enfants consistera quant à lui en la création de jouets roulants. Grâce à l’assemblage de pièces prédécoupées, auxquelles sera ajouté un système de propulsion sous la forme d’un ballon, les enfants pourront inventer toutes sortes de véhicules.
A travers ces ateliers, c’est une conception ludique, joyeuse et accessible de la création que j’ai envie de défendre.
Cette démarche fait, d’une certaine façon, écho à votre propre parcours. Vous êtes en effet autodidacte et avez une carrière riche d’expériences qui n’est ni linéaire, ni conventionnelle. Comment avez-vous progressivement cheminé vers votre activité actuelle ?
Il est vrai que de par mon parcours je suis attaché à l’idée d’élaborer des espaces de création : des cadres informels dans lesquels chacun peut s’essayer au métier. J’ai en effet commencé par faire des études de lettres modernes, d’histoire et d’histoire de l’art, en parallèle d’un emploi dans le monde du marché de l’art et des galeries. Au gré des envies et des opportunités, j’ai commencé à réaliser des expositions pour de jeunes artistes, des scénographies pour des foires d’art contemporain, tout en continuant de travailler pour des galeries d’art. Et puis au milieu de tout cela, est venue l’envie de créer une marque de t-shirt, l’Arthur Cravan Boxing Club, influencée par cette figure de dandy boxeur du début du XXème siècle et tournant en dérision le “star system artistique”. C’est pour exposer ces t-shirt, destinés aux collectionneurs et amateurs d’art, que je me suis essayé pour la première fois à la construction d’éléments de mobilier. J’avais à l’époque accès aux ateliers bois de l’Ecole des Beaux-Arts et ai pu y découvrir le plaisir de concevoir et de fabriquer mes propres pièces.
Chemin faisant, j’ai commencé à réaliser des aménagements et du mobilier en parallèle de mes activités de conseil artistique, jusqu’à l’opportunité qui m’a permis de me consacrer complètement mon activité de designer : pendant un an, j’ai travaillé sur le projet de l’hôtel Casa Mãe à Lagos dans la région portugaise de l’Algarve, assurant la codirection artistique ainsi que la conception du mobilier et des objets de l’hôtel, fabriqués par des artisans dans tout le Portugal.
Ce projet a été réellement structurant dans mon parcours. Au-delà d’y avoir découvert la richesse de la collaboration avec les artisans, il m’a progressivement convaincu de faire le choix de l’indépendance, tant pour la liberté de création qu’elle offre, que pour des raisons écologiques.
Ce passage à l’indépendance vous a donné davantage de liberté dans votre activité : comment est-ce que cela a impacté votre pratique ? Comment la décririez-vous aujourd’hui ?
Tout d’abord, les considérations environnementales ont pris une place prépondérante dans mes projets et mes créations. Après avoir, dans le passé, conduit des projets de conception de mobilier éphémère, énergivore et réalisé à partir de matériaux synthétiques, il m’a paru essentiel que ma pratique puisse accorder toute son importance au temps de conception et aux méthodes de production des pièces, au fait de réaliser des objets durables et au choix des matériaux. Je mène notamment des recherches sur les composites végétaux réalisés à partir de fibre de lin qui peuvent remplacer efficacement des matières au cot environnemental plus élevé.
La collaboration avec des artisans est également une des clés de voûte des projets que je mène, tant parce les savoir-faire sont pour moi des leviers de création que parce que j’apprécie travailler en dialogue avec la sensibilité d’un ou d’une autre.
Enfin, sur le plan esthétique, je me fie à la simplicité des lignes et au fait que la forme tire sa beauté de la fonction de l’objet et de sa technique d’élaboration.
En parallèle de ma pratique de designer, je renoue régulièrement avec la scénographie, comme pour l’exposition Sempervirens présentée au JAD en début d’année 2023, dont le mobilier était fabriqué à partir de briques de terre recyclées de l’entreprise Cycle Terre et de papier de l’entreprise labellisée Entreprise du Patrimoine Vivant Procédés Chénel. Un goût pour l’aménagement d’espaces que je voudrais lier de plus en plus à la direction artistique.
Ainsi, ma pratique se nourrit-elle de ces deux tendances : d’un côté la volonté d’être au plus près de l’objet et de créer des pièces de manière toujours plus rigoureuse et intime, et de l’autre, d’avoir une vision d’ensemble et de poser mon regard sur des objets produits par d’autres en tant que directeur artistique.
Scénographie Exposition Sempervirens Crédits photo CD92 / Julia Brechler
Enfin, le JAD est venu s’inscrire dans votre parcours : qu’étiez-vous venu y chercher et quelle place tient-il pour vous aujourd’hui ?
Mon installation au JAD, en septembre 2022, coïncide à quelques mois près au moment au moment où j’ai décidé de consacrer plus de temps à la recherche. L’occupation d’un atelier était donc pour moi la promesse d’une plus grande liberté d’expérimentation et la possibilité de m’affranchir parfois de cahiers des charges imposés pour certains projets plus prospectifs.
L’envie de tisser davantage de liens avec des artisans d’art sur le territoire français était également centrale. En un peu plus d’un an, les collaborations ont été multiples : qu’il s’agisse de pièces de mobilier avec l’ébéniste Albane Salmon d’Atelier Sauvage et la sellier d’art Sofia Haccoun-Zakabloukowa de l’Atelier Shazak, ou de projets de recherche comme celui que nous menons autour du mobilier gonflable avec le designer et sculpteur sur bois Cédric Breisacher. D’autres collaborations sont pour l’instant encore en gestation, dans l’attente d’une occasion pour prendre vie, comme avec Maxime Perrolle, sculpteur sur bois ou Carole Calvez, designer olfactif.
Enfin, le JAD est surtout pour moi un espace d’échanges et de réflexion collectif, foisonnant d’idées et de projets, comme peuvent l’être les écoles pour les étudiants. J’y trouve ainsi, d’une certaine façon, un cadre d’émulation dont je n’avais encore jamais eu la chance de bénéficier pendant mon parcours.